L’édito de Fabrice Grosfilley : investir dans la police

Objectiver. C’est la grande difficulté lorsqu’on parle de transfert, de financement, de sous-financement, de déséquilibre entre Bruxelles et les autres régions du pays. Ces derniers jours, le débat se cristallise sur les efforts que le fédéral consentirait ou ne consentirait pas au bénéfice de la Région Bruxelloise en matière de sécurité. Le cadre des zones de police qui n’est pas rempli, la magistrature qui manque de magistrats, ce sont des faits objectifs. L’arriéré judiciaire ou l’abandon des poursuites pour des infractions qui ne sont pas considérées comme prioritaires ne sont pas une vue de l’esprit. Est-ce que tous ces manquements sont dus au désinvestissement de l’état fédéral ou les autorités bruxelloise ont-elles aussi une part de responsabilité c’est toute la question.

Ce débat on peut le suivre, il est largement exprimé par les prises de parole de ces derniers jours. Parfois de manière explicite, parfois de manière suggérée. Ce sont les bourgmestres bruxellois qui rappellent que lutter contre des réseaux mafieux relève de la police fédérale. Ou encore la ministre de l’intérieur qui leur rétorque que la sécurité de leur territoire est bien une compétence des polices locales et que la police fédérale ne viendra qu’en “support” des actions locales. Ce débat, on le devine aussi quand on fait la comparaison entre Bruxelles et Anvers, et quand les Bruxellois rappellent que pour aider Anvers la ministre de l’Intérieur a été un peu plus prompte à se mobiliser et à trouver des financement, ou encore quand ils rappellent que des policiers des zones bruxelloise ont bien collaboré avec le niveau fédéral quand celui-ci a été débordé par l’impact de l’enquête Sky ECC.

Dans cette tentative d’objectivation pour savoir qui aide qui et qui finance quoi, le journal l’Echo ajoute ce matin une pièce au dossier qui n’est pas inintéressante. Il s’agit d’une étude de Bruxelles Pouvoirs Locaux, en clair l’administration de la Région Bruxelloise qui s’est penchée sur le financement des zones de police. L’étude date de l’an dernier. Elle revient sur la fameuse norme KUL, cette norme développée par l’université de Louvain et qui fixe la clef de répartition pour le financement des zones de police. Une norme qui date de la fin des années 1990 et qui ne prend donc pas en compte l’évolution de la population des 20 dernières années. Comme la population augmente à Bruxelles plus vite que dans les zones rurales on aboutit à un sous-financement structurel des zones de police bruxelloises (celui-ci serait donc de l’ordre de 10%). Il faut encore y ajouter un mécanisme de solidarité mis en place pour aider les petites zones, là aussi au détriment de la région bruxelloise.

Résultat des courses : alors que la dotation fédérale couvre à peu près la moitié du budget d’une zone de police au niveau national, pour les 6 zones de police bruxelloises cette dotation ne représente que le tiers du budget, ce sont donc bien les communes Bruxelloises qui financent leurs polices locales aux deux tiers. Bien sûr on peut relativiser cette étude, la prendre avec une distance critique, elle émane des pouvoirs locaux bruxellois. Annelies Verlinden de son côté rappelait hier que le fédéral avait investi 500 millions dans la police ces derniers années et que le plan Canal apportait déjà des moyens complémentaires aux zones de police bruxelloises. Il n’empêche : mettre noir sur blanc une telle disproportion dans le financement des zones de police n’est pas du temps perdu. Et on notera surtout le décalage d’attitude entre la ministre de l’Intérieur, dont l’essentiel du discours revient à dire que tous les niveaux de pouvoirs doivent travailler ensemble et qui ne cesse de suggérer que les polices bruxellois doivent mieux se coordonner (ce qui est un appel implicite à ce que des zones du sud de la capitale aident celle du nord de la ville), et de l’autre un ministre de la Justice qui venait hier avec des chiffres et semblait bien plus à l’écoute et bien moins dans la confrontation que sa collègue de l’intérieur.

On mettra sans doute tout le monde d’accord en rappelant que le désinvestissement dans la police et la justice ne sont pas l’œuvre de ce gouvernement, mais plutôt celle du précédent, emmené par Charles Michel puis par Sophie Wilmes quand la principale priorité était d’assainir les finances publiques. Le retour de règles budgétaires strictes au niveau européen pourrait conduire à de nouvelles politiques rigoureuses en matière budgétaire. Entre la sécurité, la santé, les pensions, les investissements économiques ou la baisse de la fiscalité pour renforcer le pouvoir d’achat le prochain gouvernement fédéral risque de se retrouver face à une équation insoluble. D’un point de vue strictement bruxellois ces discussions budgétaires pourraient nous inciter à une certaine humilité. Nous dépendons bien pour le financement de notre sécurité, et pour beaucoup d’autre choses aussi, des dotations du fédéral. C’est vrai ce fédéral nous maltraite souvent. Et c’est injuste. C’est vrai aussi une partie de la richesse produite à Bruxelles est captée par les autres régions. Mais Bruxelles sans le soutien du fédéral, est aussi une région qui n’aurait probablement pas les moyens d’assurer sa propre sécurité.

Fabrice Grosfilley 

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16 février 2024 - 13h02
Modifié le 16 février 2024 - 13h07