L’édito de Fabrice Grosfilley : désintérêt citoyen

Dans son édito de ce mardi 10 juin 2025, Fabrice Grosfilley revient sur l’absence de gouvernement bruxellois.

Un an sans gouvernement. La date symbolique est désormais derrière nous. Il y a aujourd’hui 366 jours que nous avons voté. Cette date, on aurait pu espérer qu’elle agisse comme un électrochoc. Que ce symbole force la classe politique à se ressaisir et à dépasser les blocages actuellement en cours. On en sera pour nos frais.

Hier, il y a bien eu un pique-nique place de la Bourse : 500 personnes rassemblées pour marquer leur exaspération. Pique-nique citoyen, avec nappes et sandwichs. Vous avez sans doute vu des images au journal télévisé hier soir, ou sur les réseaux sociaux ; vous retrouverez des articles relatant ce rassemblement dans la plupart des quotidiens de ce matin.  Globalement, pourtant, la presse est sobre ce matin. C’est vrai que plusieurs journaux ont consacré d’importants dossiers à la crise ces derniers jours, notamment dans les éditions de samedi. Mais entre les Diables rouges, qui ont bien failli se noyer face au pays de Galles, la réforme des pensions, ce qui se passe à Gaza ou en Ukraine, on sent bien que l’intérêt de la presse pour cette crise bruxelloise s’est émoussé. Ce matin, seul Le Soir y consacre encore son éditorial.

« La persistance des exclusives et des veto ne permet pas d’esquisser la moindre sortie de crise. Ce simple constat donne le vertige. Il met aussi en colère », écrit Julien Thomas en première page, notant que cela est bien délétère pour la démocratie.

Deux pages plus loin, toujours dans Le Soir, ce chiffre : 79 % des Bruxellois trouvent grave ou très grave que la Région bruxelloise se retrouve sans gouvernement. Enseignement tiré du baromètre que réalise Ipsos pour Le Soir et RTL. On notera que les chiffres ne varient pas tellement d’une région à l’autre. Les Bruxellois ne sont donc ni plus scandalisés, ni plus compréhensifs que les habitants des autres régions.

Délétère pour la démocratie.
On ne doit pas prendre cette expression à la légère. Dans des micro-trottoirs réalisés ce week-end par BX1, on a pu mesurer combien de nombreux Bruxellois se désintéressent totalement de cette non-formation de gouvernement. Le feuilleton est interminable, la plupart des citoyens ont décroché depuis longtemps. La politique, cela ne passionne pas tout le monde. La politique bruxelloise est encore plus compliquée et plus morcelée que celle des autres niveaux de pouvoir. Et quand cette politique s’englue dans des stratégies d’appareils et des querelles de personnalités, elle n’offre pas le spectacle le plus enthousiasmant.

Samedi, le journal L’Écho se demandait même quelle était encore l’utilité de la Région bruxelloise… et si elle pouvait disparaître ? La question peut paraître provocante. Elle ne l’est peut-être pas tant que ça. Une région qui resterait sans gouvernement, avec des citoyens qui s’en rendraient à peine compte et se contenteraient d’un haussement d’épaules, c’est effectivement une région qui est démocratiquement moribonde.

Bien sûr, ce n’est pas uniquement la faute de notre classe politique bruxelloise. C’est aussi le résultat d’un corset que la Flandre et la Wallonie ont imposé à Bruxelles — cette région qui est arrivée un peu plus tard que les autres et qui n’a toujours pas tout à fait la même autonomie. Le résultat d’un sous-financement chronique. D’une ville-région qui propose des emplois, mais n’arrive pas à retenir ses habitants, et voit les recettes fiscales qu’elle génère repartir vers la Wallonie et la Flandre. Le résultat d’un mécanisme de protection de la minorité néerlandophone, ce fameux double collège au sein du Parlement régional, qui aurait pu être une bonne idée dans l’absolu, mais qui aboutit à la paralysie d’aujourd’hui. Enfin, le résultat de  ces logiques partisanes qui se sont ces derniers mois profondément éloignées des intérêts bruxellois. La négociation n’appartient plus aux politiques locaux : elle a été aspirée, confisquée par des états-majors nationaux. Bruxelles est devenue un jouet pour des appétits qui nous dépassent et nous instrumentalisent. On ajoutera cette limitation démocratique qui écarte 340 000 électeurs potentiels au motif qu’ils n’ont pas la nationalité belge… un comble pour une capitale européenne qui s’enorgueillit de son caractère cosmopolite.

Pourtant, nous, nous l’aimons, la Région bruxelloise.
C’est pour cela que, ce matin encore, je vous parle de politique. C’est pour cela que, jour après jour, je continue d’essayer de vous informer sur les négociations en cours. Que je continue à vouloir croire qu’il y aura, à un moment, un sursaut permettant d’aboutir à un compromis et de former un gouvernement. On n’abandonne pas. On veut continuer à y croire. On s’accroche. Parce qu’on sait aussi que, en démocratie, quand tout le monde est dégoûté, il ne reste, à la fin, que les plus dégoûtants.

Fabrice Grosfilley

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10 juin 2025 - 10h47
Modifié le 10 juin 2025 - 10h47

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