L’édito de Fabrice Grosfilley : des chiffres sur la table
Combien rapporterait-elle cette taxe sur les grosses fortunes que réclament en chœur les partis de gauche ? La question revient périodiquement, surtout en période électorale et parfois à l’occasion d’un conclave budgétaire. Taxer les très gros patrimoines, ce serait un moyen de faire rentrer de l’argent, cela équilibrerait les comptes, cela permettrait peut-être de faire baisser la pression fiscale sur les bas ou moyens salaires par exemple.
Alors combien ? Le Bureau du Plan s’est prêté à l’exercice et a donc, pour la première fois, mis des chiffres sur la table. Ce n’est pas que les partis politiques n’aient jamais avancé des estimations de recettes des mesures qu’ils vendent à l’électeur, les partis les plus sérieux ont habituellement des centres d’études qui proposent des estimations. Mais cette fois-ci, l’estimation est l’œuvre d’un organe indépendant et réputé sérieux. Dans ses rangs, pas moins de 75 économistes ou statisticiens, des experts, capables de transformer en fourchettes réalistes les propositions pas toujours si réalistes des partis politiques.
Dans la copie qu’il a rendu hier le Bureau du Plan a donc étudié deux scénarios de taxation. Dans la première de ces simulations, cela concerne les Belges qui bénéficient d’un patrimoine supérieur à 1 million d’euros (ils représentent 5% de la population). On immunise le logement dont on est propriétaire jusqu’à 500 000 euros, ainsi que les actifs professionnels, les bâtiments d’une entreprise par exemple également jusqu’à 500 000 euros. On taxe le reste. 1% pour la première tranche entre 1 et 2 millions. 2% entre 2 et 3 millions, et 3% sur tout le patrimoine au delà de 3 millions. On ne peut pas dire que les taux soient particulièrement élevés. Mais cela permettrait déjà de rapporter en théorie 5,4 milliards. Le Bureau du Plan a anticipé un potentiel mouvement d’évasion ou d’évitement fiscal, avec du patrimoine qui partirait soudainement à l’étranger. On passerait dans ce cas à 4,7 milliards. C’est une somme rondelette, évidemment. Pour rappel la Banque Nationale a demandé l’an dernier au gouvernement fédéral d’économiser 2 milliards par an pour éviter de plonger dans le rouge.
Si jamais on trouvait que 3% c’est trop, le Bureau du Plan a aussi planché sur un scénario inférieur, on commencerait par un taux de 0,4% à partir d’un patrimoine de 1,2 million et on ne monterait pas au delà de 1,5% à partir de 5 millions. Cela ne rapporterait “que” 3,8 milliards, corrigés à 2,9 milliards après les mécanismes d’évitement fiscaux.
Évidemment ces chiffres donnent du grain à moudre aux partis de gauche qui défendent cette idée. Pas que le PTB, qui crie très fort sur la question, mais aussi le PS ou Ecolo qui défendent aussi ce principe et ont même déjà déposé des textes en ce sens à la chambre. Il leur faudrait malgré tout trouver une majorité pour les voter… donc convaincre des partis classés à droite, comme les libéraux ou la N-VA, parce que le premier obstacle sera déjà d’avoir un cadastre des fortunes. Savoir qui possède quoi n’est pas facile dans ce pays. Le contribuable belge a la dissimulation dans les veines. Pour vivre heureux, vivons cachés, et cachons ce bas de laine que le fisc ne saurait voir.
Il n’empêche, l’exercice du Bureau du Plan est salutaire. Il indique qu’il y a bien là une réserve financière à aller chercher. Les experts ne sont pas au bout de leur travail. Après avoir identifier cette potentielle recette, le Bureau du Plan va désormais s’attacher à chiffrer de potentielles dépenses. Dans le cadre de la campagne électorale, les partis politiques doivent lui soumettre leur programme électoral (30 propositions par parti, avec des thèmes imposés) à déposer avant le 15 février. Le Bureau du Plan les épluchera les propositions une par une pour dire ce que cela coûterait ou rapporterait si on devait les appliquer telles qu’elles sont présentées. C’est un exercice assez unique, mais qui existe aussi aux Pays Bas, ou au Canada. Ce chiffrage par une instance indépendante est un moment très attendu. Savoir qui propose quoi et ce que cela coûte ou rapporte, c’est une information dont on veut croire qu’elle sera très utile à l’électeur. Et que cela l’aidera peut-être a faire le tri entre les formations politiques qui proposent des mesures finançables, et celles qui seraient plus attachées à la force de leur slogan qu’à la réalité des chiffres.
►L’Edito de Fabrice Grosfilley