L’édito de Fabrice Grosfilley : débats et récupération

Dans son édito de ce jeudi 15 février, Fabrice Grosfilley revient sur les sorties politiques liées à la lutte contre la drogue.

Il fallait s’en douter. Le débat sur la sécurité et le trafic de drogue devient éminemment politique. Quatre fusillades en trois jours, un mort, et la crainte que cette mauvaise série ne s’arrête pas là ont donc mis le feu à la poudre blanche et à la campagne électorale. Depuis hier matin, on ne compte donc plus les réactions et les expressions publiques. Les décideurs bruxellois s’expriment beaucoup. Ils sont, comme à chaque flambée de violence, extrêmement sollicités par les médias. Tandis que le niveau fédéral se mure dans un silence prudent, tout en alimentant les commentaires et les analyses avec des arguments ou contre-arguments glissés discrètement “off the record” aux journalistes en quête d’information.

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Comme à chaque fois sur ces questions de sécurité, c’est un double clivage qu’on peut observer dans ces commentaires. Un clivage majorité /opposition qui se superpose à un débat francophones / flamands ou, plus précisément, une opposition entre Bruxelles et ses décideurs d’un côté, et des autorités fédérales qui les regardent de haut de l’autre.

Prenons le premier clivage. Il est classique entre ceux qui sont au pouvoir à la Région et dans les communes concernées par les fusillades, avec en premier de cordée le Parti Socialiste, et ceux qui sont dans l’opposition, notamment le Mouvement Réformateur ou les Engagés. Du côté de la Région et des communes dirigées par le PS, on rappelle donc depuis hier que la lutte contre le trafic de drogues est une compétence de l’État fédéral. C’est donc à la police judiciaire d’intervenir, de démanteler ces réseaux mafieux. On glisse aussi qu’il faudrait que la justice soit plus sévère, et ne laisse pas ressortir le lendemain des individus que les policiers ont arrêtés la veille, et que remplir le cadre pour résorber l’arriéré judiciaire et cesser de renvoyer vers les communes les infractions que le parquet n’arrive plus à poursuivre ne serait pas du luxe. On mettra aussi l’accent sur le définancement de la police et l’insuffisance chronique d’effectifs. Il manque par exemple près de 200 policiers au sein de la zone Midi. Du côté de l’opposition, on trouvera que la réponse est un peu courte. Que les bourgmestres n’ont pas toujours les bonnes priorités et on s’étonnera de l’absence de communication forte du Ministre-Président. Rudi Vervoort, pas assez présent, pas assez offensif, sur ces questions de sécurité, alors qu’il a quelques compétences en police administrative, et surtout qu’il devrait être en capacité d’incarner les intérêts de Bruxelles et hausser le ton sur ces questions de sécurité.

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Le deuxième clivage est sans doute plus diffus et difficile à observer pour un œil non averti, mais il est pourtant très présent également. C’est la différence d’appréciation entre les décideurs bruxellois et ceux qui sont au pouvoir au fédéral. On a déjà pu observer ce ballet l’été dernier lors du débat sur la gare du Midi. Avec des zones de police et des bourgmestres qui appelaient à l’aide d’un côté et rappelaient que la sécurité dans la gare était bien une compétence du fédéral qui n’avait pas l’air de s’en soucier beaucoup, et un niveau fédéral qui avait visiblement d’autres priorités que la Région bruxelloise à qui on refile sans vergogne les difficultés, que ce soit en matière de sécurité ou de gestion des demandeurs d’asile. Les Bruxellois reçoivent assez d’argent, qu’ils se débrouillent. C’est le résumé qu’on entend bien souvent. Jusqu’à ce que le Premier ministre Alexander De Croo siffle la fin de la récréation et remette tout le monde autour d’une table. C’est la technique des grandes annonces. On annonce donc un plan pour la gare du Midi, le retour d’un commissariat dans la gare, le renforcement des effectifs, et puis on passe à autre chose une fois que l’opinion publique et la presse regardent ailleurs. Côté flamand, l’occasion est toujours trop belle de pouvoir dire que Bruxelles est mal gérée. Qu’il y a trop de communes, trop de zones de police, trop de dispersion des moyens, et trop d’élus…

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À propos d’élu.e.s, depuis hier, on attend toujours une réaction de la ministre de l’Intérieur. Annelies Verlinden, membre du gouvernement fédéral et du CD&V, devrait théoriquement être la première concernée. Il n’y a pas eu de déclaration de sa part jusqu’à ce jeudi matin. Cela viendra sans doute aujourd’hui, notamment parce qu’il y aura la séance des questions d’actualité à la Chambre. Il sera difficile à la ministre de l’Intérieur de continuer à rester silencieuse comme si les fusillades à Bruxelles ne la concernaient pas.

La suite de l’histoire, on pourrait presque l’écrire si on n’avait pas peur de se prendre pour Nostradamus et de confondre cet éditorial avec une chronique astrologique. Il n’est pas exclu qu’Alexander De Croo se mêle de ce dossier dans les heures ou jours à venir. Il n’est pas exclu que fédéral, commune et région se retrouvent à nouveau autour d’une grande table. Il n’est pas exclu non plus qu’on annonce un nouveau grand plan pour lutter contre la criminalité en Région bruxelloise. Qu’on autorise les communes à délivrer des amendes administratives avec perception immédiate (comme le demandait Fabrice Cumps sur notre antenne) . Qu’on annonce le recrutement de nouveaux policiers. Ou même qu’on demande aux procureurs généraux de durcir la politique de répression.

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C’est, peut-être, oublier un peu vite que nous sommes en campagne électorale. Que la tendance au “Bruxelles Bashing” est en embuscade, et que de nombreux partis ou candidats auront envie d’attirer une part de l’attention médiatique via l’une ou l’autre proposition. Que dans les prochaines heures ou prochains jours, c’est inévitable, on entendra aussi parler de fusion des communes, ou de commandement centralisé. On fera la comparaison avec Anvers (et on oubliera évidemment de dire qu’à Anvers aussi la situation est compliquée, et que, là aussi, le bourgmestre demande régulièrement des moyens supplémentaires). On omettra de dire que la progression de mafias touche toute l’Europe, on a notamment vu ce qui se passe à Marseille ou dans les grandes villes françaises. On pourrait rêver d’un grand débat sur la pénalisation ou pas de la consommation de drogue, sur le modèle portugais, sur une politique européenne intégrée, sur les manières efficaces de contrer le trafic. Mais on ne rêve pas, on sait qu’on est en campagne électorale. Que marquer des points dans l’opinion est, pour beaucoup d’élus, beaucoup plus rentable que de résoudre les problèmes.

Fabrice Grosfilley