L’édito de Fabrice Grosfilley : dans les airs ou sur le rail, investir aussi dans le personnel

Il est présenté comme l’avion du futur. Le premier modèle du fameux F35 de l’entreprise Looked-Marteen, dans la version qui équipera la force aérienne est sortie d’usine. Premier exemplaire, réceptionné par le Premier ministre Alexander De Croo en personne, qui a donc fait le voyage jusqu’au Texas pour cela, clic clac kodak et photo souvenir, le fait qu’on soit en campagne électorale n’ayant sans doute rien à voir avec cela puisque  “c’est le meilleur matériel que l’on puisse avoir pour nos pilotes” afin de “défendre notre population, nos intérêts, notre mode de vie et notre prospérité”, a déclaré le Premier ministre.

Loin de moi l’idée de dire que ces avions de chasse ne servent à rien. On a vu avec le conflit en Ukraine (2000 km de Bruxelles, autant dire le voisin du bout de la rue)  que disposer d’une capacité de défense suffisamment dissuasive est particulièrement nécessaire dans ces temps troublés où l’équilibre du monde vacille. On soulignera quand même qu’il aura fallu 5 ans entre la commande des 34 F35 , décidée sous le gouvernement de Charles Michel, et la sortie d’usine du premier appareil, alors que les F16 sont annoncés comme en fin de vie (et que certains hommes politiques voudraient  qu’on les cède rapidement aux forces ukrainiennes). Qu’il va falloir maintenant former 48 pilotes et 120 techniciens au maniement et à l’entretien des avions, avec une formation étalée sur plus d’un an  et que tout se fait au Texas. Que le premier F35 n’arrivera donc en Belgique, qu’au mieux à la mi-2025. Faut-il aller plus loin que ces 34 appareils ? Oui, répond déjà  l’Otan qui  estime  que la Belgique ne devrait pas avoir 34 mais 45 chasseurs dans sa flotte aérienne. Pas si vite, répondront ceux qui s’inquiète du budget fédéral : le marché des F35 c’est quand même une belle somme de 4,5 milliards d’euros rien que pour l’achat des avions (hors entretien). Au total, on parle de 15 milliards d’euros tout compris sur l’ensemble de la durée de vie de ces appareils, sur lesquels les spécialistes trouvent qu’il y a d’ailleurs beaucoup à redire, les essais de F35 ayant mis au jour pas mal de difficultés techniques. Avec un risque non négligeable de dépassement de budget : il n’y a pas que le métro bruxellois ou le tram de Liège dont la facture se révèle au fur et à mesure beaucoup salée que prévue.

Quinze milliards d’euros pour 34 appareils dont la durée de vie est estimé à 40 ans, c’est évidement une dépense importante pour l’État belge. Le prix de la sécurité sans doute. A titre de comparaison (qui n’est pas raison), on notera que le budget fédéral investit par exemple 3 milliards par an sur le rail. Sur 40 ans, cela ferait 120 milliards. A la différence près que le train on est certain de s’en servir tous les jours, alors que nos avions de chasse sont acquis dans un but dissuasif (mais pour que la dissuasion soit crédible , il faut bien les faire voler régulièrement évidement). On mesure combien ces montant colossaux ne nous mettent pourtant jamais à l’abri d’une difficulté technique ou d’une contrariété imprévue, ou même au constat qu’à coté d’un équipement technique théoriquement de pointe, l’organisation humaine n’est pas toujours à la hauteur.

Ce dimanche par exemple la SNCB a lancé un nouveau plan de transport qui prévoit de faire rouler 2.000 trains supplémentaires par semaine, dont 720 le week-end dans le but d’accroître de 30% le nombre de voyageurs sur le réseau ferroviaire d’ici 2032. Dans le même temps, la société de chemin de fer doit pourtant annuler de nombreux trains faute de cheminots, et enregistre un nombre toujours très important de train en retard. Cela nous rappelle qu’on peut investir des sommes considérables dans des matériels dernier-cri mais que si on ne protège pas en parallèle l’infrastructure humaine pour les faire fonctionner (conduire les appareils, mais aussi les entretenir, penser leur utilisation, former le personnel, etc), cela ne sert pas à grand chose. Bien sûr, un train ce n’est pas un F35 (comparaison n’est pas raison, ai-je prévenu) mais  mon petit doigt me dit que  bien souvent les investissements qui concernent le recrutement, la formation, les pensions du personnel, ont souvent tendance chez nous, à être sous-estimés, ou à passer au second plan. Il serait assez ballot d’avoir dans 10 ou 20 ans de magnifiques avions et de rutilantes locomotives… qu’on ne sait plus faire voler ou rouler faute de savoir-faire…

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11 décembre 2023 - 10h04
Modifié le 11 décembre 2023 - 11h12