L’édito de Fabrice Grosfilley : chez nous, chez eux au MR ?

Y a-t-il une démarcation nette entre la droite classique et l’extrême droite ? Ou au contraire, s’agit-il d’une frontière poreuse, d’une séparation théorique qu’on pourrait aisément franchir pour passer d’une rive à l’autre, avec le risque que les deux entités finissent par s’alimenter mutuellement, au point de se confondre ? C’est, en filigrane, la question que posent de nombreux commentateurs depuis qu’on a appris, ce week-end, l’arrivée de transfuges du parti “Chez Nous” au sein du Mouvement Réformateur.

“Chez Nous” est un parti wallon qui se présente comme patriote, attaché aux traditions et aux valeurs. Il dénonce des élites “hors-sol”, refuse une immigration qu’il qualifie de massive et fustige une prétendue islamisation qui transformerait la Belgique. Dans sa vidéo de présentation, le parti met en avant des personnalités comme Tom Van Grieken, président du Vlaams Belang, et Alain Destexhe. Bref, il n’y a pas de doute : “Chez Nous”, est clairement classé à l’extrême droite. Les images de ses cadres scandant, “On est chez nous” ne laissent aucune ambiguïté.

Ces dernières semaines, trois militants de ce parti ont très officiellement rejoint le Mouvement Réformateur. L’un d’entre eux, tête de liste pour “Chez Nous” en juin dernier dans l’arrondissement de Liège, a même posé aux côtés de Georges-Louis Bouchez pour de belles photos. Cette arrivée ne passe pas inaperçue et suscite des remous au sein du MR. Le plus notable est celui de Sophie Wilmès, qui déclarait dimanche soir sur RTL que cette situation “posait question” et que le MR aurait dû, je cite, “consulter en interne avant d’accepter ces adhésions“. Georges-Louis Bouchez lui a rétorqué que c’était une prérogative présidentielle d’accepter de nouveaux membres, sous-entendant qu’il s’agissait d’un choix assumé. Traduisons en clair : si vous n’êtes pas d’accord, il ne fallait pas m’élire président. Les militants de “Chez Nous” sont donc chez eux au Mouvement Réformateur, à condition d’affirmer qu’ils ont changé et qu’ils méritent une seconde chance.

Ce n’est pas la première fois que Georges-Louis Bouchez envoie des signaux en direction de l’extrême droite. À de nombreuses reprises, notamment sur le réseau X, il a partagé des contenus provenant de comptes affiliés à cette mouvance. En 2022, il avait déclaré avoir plus de respect pour Éric Zemmour que pour Valérie Pécresse. Lorsqu’il attaque les médias qu’il qualifie de “bien-pensants” ou dénonce ce qu’il appelle le “wokisme”, Georges-Louis Bouchez utilise un vocabulaire et des techniques de communication empruntés à la droite populiste. Crier fort, proclamer qu’on ne cédera sur rien, opposer le peuple aux élites : ces méthodes sont depuis longtemps dans l’ADN des partis d’extrême droite. Bien que la frontière soit en théorie clairement tracée en Belgique, Georges-Louis Bouchez ne défend pas le principe du cordon sanitaire. Il le subit. Il l’a même rompu au moins une fois en acceptant de débattre avec Tom Van Grieken.

Que retenir de cette nouvelle séquence ? D’abord, que c’est le journal Résistance qui a révélé l’affaire. Résistance est spécialisé dans la surveillance de l’extrême droite, ce qui démontre, en passant, que nous avons bien besoin de journalistes pour éclairer le débat démocratique. Ensuite, que cet épisode s’inscrit dans une saga qui ne s’est pas déclenchée la semaine dernière et qui ne s’arrêtera pas dans trois jours. Il y aura, j’en prends le pari, d’autres signaux, d’autres débauchages, d’autres déclarations tapageuses.

C’est ce que les spécialistes appellent la fenêtre d’Overton : susciter la polémique en choquant délibérément pour introduire dans le débat public des sujets qui en étaient exclus. En termes simples, c’est une stratégie du grignotage. Aujourd’hui, quelques protestations internes émergent au sein du Mouvement Réformateur, mais elles restent de pure forme. Cela n’empêchera pas Georges-Louis Bouchez de continuer, en poussant le bouchon, chaque fois un peu plus loin.

La démarche est stratégique. Il s’agit, d’une part, d’empêcher l’émergence d’un mouvement d’extrême droite qui pourrait capter une part de l’électorat, et, d’autre part, d’anticiper une radicalisation de l’opinion publique en Belgique. Ce qui se passe aux États-Unis avec Trump, en France avec Marine Le Pen, en Italie avec Meloni ou en Flandre avec Bart De Wever et Tom Van Grieken, indique une montée du populisme et une possible tentation autoritaire. Le président du MR a choisi d’accompagner, ou même d’anticiper ces mouvements. Pour l’instant, les résultats électoraux lui donnent raison. Rien ne laisse penser que cette dynamique s’arrêtera. Ceux qui considèrent que ce positionnement est uniquement le fait du président du MR risquent d’ailleurs d’être déçus. Les propos de Pierre-Yves Jeholet, qui invitait Nabil Boukili à “retourner dans son pays”, montrent bien que ce positionnement n’est pas seulement l’affaire d’un seul homme.

Fabrice Grosfilley