L’édito de Fabrice Grosfilley : chaude chaleur
Comment parler de la chaleur ? Comment trouver les mots justes pour annoncer que le ciel est bleu, ce qui est plutôt réjouissant, mais que les températures sont anormalement élevées, ce qui l’est beaucoup moins. Parler de la pluie et du beau temps, cela n’a pas forcément sa place dans un éditorial, me direz-vous. C’est bon pour les civilités entre collègues, les conversations du voisinage, le coup de fil hebdomadaire à la marraine Julienne. On parle de météo quand on n’a rien de plus profond à se dire. C’est un sujet de conversation universel, sans risque de dérapage, concernant tout le monde, mais n’impliquant personne. Il vaut mieux parler de la pluie et du beau temps que de se disputer sur la politique, le port du foulard, la supériorité d’Heidegger sur Spinoza ou pire encore, les mérites de l’union Saint-Gilloise par rapport au Sporting d’Anderlecht.
Pourtant, ces jours-ci, il n’est pas si facile de vous parler de la météo. D’un côté, la tendance naturelle du bulletin de météo est de valoriser le beau temps. Ciel bleu, températures en hausse, à l’antenne, je vous présenterai cela comme de bonnes nouvelles. Par contraste, la pluie, les températures froides, les bourrasques sont considérées comme plus négatives. On va donc parler d’un record de températures comme s’il s’avisait d’un exploit sportif et qu’il serait de bon ton d’acclamer. Cette culture météo qui est la nôtre depuis des générations, et qui conditionne notre manière de voir le ciel, est en contradiction frontale avec une interprétation beaucoup plus négative de ce qui est en train de nous arriver. Des températures qui dépassent les 25 degrés pendant cinq jours d’affilée, c’est la définition dune vague de chaleur. Cela n’a rien de dramatique en soi, sauf que cette vague-ci tombe tôt dans la saison, nous sommes a encore au moins de juin, habituellement ce genre d’épisode survient plutôt fin juillet ou début aout. On se dirige d’ores et déjà vers le mois de juin, le plus chaud de l’histoire des relevés météos. Avec un déficit de précipitation sensible : il n’a pas plu depuis la mi-mai en Région Bruxelloise.
Surtout : nous sommes ces jours-ci nettement au-dessus des 25 degrés. Les thermomètres indiquent 30 degrés à Bruxelles. Le Samu social a déclenché hier son plan canicule : distribution d’eau et plan des fontaines publiques pour tous les sans abris croisés en maraude. Les maisons de repos, les crèches, les entreprises adoptent aussi des mesures de prévention. Les métiers en extérieur, les facteurs, les ouvriers des chantiers, ou ceux en intérieur comme dans la restauration où la boulangerie, sont aussi amenés à devoir moduler l’effort ou à changer leurs horaires pour profiter d’heures où le soleil cogne moins fort. Et même dans les bureaux ou dans les salles de classe, quand l’isolation est défaillante ou la climatisation inexistante, c’est parfois très difficile.
La conclusion s’impose à nous. Le “beau” temps, ce n’est pas forcément une bonne nouvelle. Il faut donc que nous soyons capables d’opérer un switch mental pour changer notre vocabulaire, retirer la connotation positive que nous associons aux températures élevées. Ces tempérés sont anormalement trop élevés aujourd’hui. Anormalement comparées aux normales saisonnières. Anormalement comparées à ce qui serait souhaitable pour poursuivre notre mode de vie sans avoir à l’adapter. Le réchauffement climatique est une réalité. L’initiative de la chaine de télévision France 2 qui a remplacé ses bulletins météo par des bulletins climat va dans ce sens. C’est probablement un pli que nous allons devoir prendre aussi. Il ne s’agit plus de dire que la météo est clémente ou réjouissante. Il s’agit de constater que la terre se réchauffe. Et qu’en Europe, et en particulier en Belgique, les effets de ce réchauffement se font sentir encore plus qu’ailleurs.
■ Édito de Fabrice Grosfilley dans la matinale Bonjour Bruxelles.