L’édito de Fabrice Grosfilley : Bruxelles 2030, quelle culture ?

Quelle définition donner au mot culture ? Cette question, Fatima Zibouh et Jan Goossens ont dû se la poser plus d’une fois ces derniers mois. Ces deux personnalités sont les ambassadeurs, (titre officie :  les chargés de mission) de la candidature de la Région Bruxelloise au titre de capitale européenne de la culture pour 2030. “Capitale européenne de la culture”, késako ? Le label existe depuis le milieu des années 1980, imaginé par Melina Mercouri et Jack Lang, ministres emblématiques de la Culture de la Grèce et de la France à l’époque. L’idée est de mettre en valeur la richesse et la diversité des cultures européennes. Porter ce titre permet de booster la culture locale, et le tourisme, mais aussi d’accélérer les grands aménagements (la construction d’un musée par exemple) ou les projets de revitalisation urbaine. Plus de 60 villes ont déjà porté ce label qui permet d’avoir des retombées en terme d’image et d’économie. Depuis les années 2000, élargissement de l’Union aidant, ce ne sont plus une mais deux capitales culturelles que l’Europe désigne chaque année. Pour la Belgique, Bruges en 2002, et Mons en 2015 ont déjà eu cet honneur. Bruxelles l’avait déjà reçu en 2000… mais 2000 était une année spéciale avec 9 villes désignées.

Le titre de capitale européenne de la culture est décerné 4 ans à l’avance. Ce qui explique qu’on soit maintenant en pleine campagne électorale. Pour 2030, on sait qu’une place est réservée à une vile belge. Mais la Région Bruxelloise n’est pas la seule candidate… Courtrai, Gand, Bruges, Louvain et probablement Liège sont également sur les rangs.

Pour Bruxelles, c’est donc Molenbeek qui portera la candidature. Une manière de mettre en avant la diversité de la Région et surtout de donner une image positive à une commune qui porte toujours sur ses épaules l’image négative du terrorisme et des attentats. Pourtant, Molenbeek, c’est aussi le MIMA le musée de la migration, une maison des cultures, des initiatives comme La Vallée où jouent aujourd’hui les musiciens les plus pointus du pays (francophones et néerlandophones), la chorale Singing Molenbeek, et on pourrait encore multiplier les exemples. Oui, il y a de la culture à Molenbeek, énormément de culture, cela est un atout. Et si on arrive à tisser des liens avec des voisins, par exemple le musée Kanal qui se trouve de l’autre côté du pont, cela sera encore plus pertinent.

Pour en être convaincu, il faut donc aussi se poser la question de la définition du mot culture. Est-ce la culture que l’on voit dans les murs d’un musée ? Aux Musées royaux des Beaux-Arts, avec leurs grands maitres du XVIe ou XVIIe siècle ? Est-ce l’opéra, comme on le joue à La Monnaie  ? Est-ce le théâtre, celui des auteurs classiques, Molière, Racine, Shakespeare (ou Paul Van Stalle pour faire local) ? Ou est-ce qu’on considère que la culture, c’est aujourd’hui bien plus que l’héritage culturel, un héritage prestigieux, qu’on ne doit pas renier, mais qu’il y a possibilité de prolonger, de magnifier, de métisser aussi ? Pouvons-nous dépasser cet héritage culturel et y mettre une dose de raï et de tambours gnawa, de guitare flamenco, de chant soufi, de calligraphie chinoise et pourquoi pas de cornemuse bretonne ou écossaise ? C’est toute la question qu’on va pouvoir se poser avec la désignation de Molenbeek, la commune de l’immigration par excellence, comme porte-drapeau. Et on ajoutera une autre dimension, celle de la jeunesse. La culture, aujourd’hui c’est le rap, c’est le graffiti, c’est aussi TikTok ou WhatsApp pour la véhiculer. De quoi casser les codes et de bousculer l’héritage. Il faut se rappeler qu’en Région bruxelloise, un habitant sur deux a moins de 30 ans. Que deux Bruxellois sur trois sont étrangers ou issus de parents qui n’avaient pas la nationalité belge. La culture bruxelloise ne pourra pas être demain l’addition de différentes cultures qui coexisteraient les unes à côté des autres : ce serait la juxtaposition de cultures ghettos protégées par des murs et des œillères et figés dans leur développement. L’avenir en 2030 et au-delà est au croisement des cultures pour qu’elles s’influencent, s’ensemencent les unes les autres. Et derrière la culture, c’est aussi notre cohésion sociale et notre prospérité économique qui vont se jouer à travers cette idée.

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Fabrice Grosfilley