L’édito de Fabrice Grosfilley : basse émission et haute tension
“Une bombe dans les négociations, une rupture de confiance et un mépris pour les partis néerlandophones.” Voici quelques-unes des expressions employées par Elke Van den Brandt hier soir après que les partis francophones aient annoncé leur intention de repousser de deux ans l’entrée en vigueur de la prochaine étape de la LEZ, la fameuse zone de basse émission en Région bruxelloise. Concrètement, les véhicules de norme diesel Euro 5 qui auraient dû être interdits au 1er janvier 2025, ne le seront qu’en 2027. Cela concerne notamment un nombre important de camionnettes de livraison. En gros, 600 000 véhicules immatriculés avant 2014, date d’apparition de la norme Euro 6, dont 33 000 appartiendraient à des Bruxellois. L’argument des francophones est que les ménages les plus favorisés ont eu le temps et les moyens de changer de véhicules. Ceux qui ne sont pas en conformité ne l’ont pas fait parce qu’ils n’en avaient pas les moyens.
Pour être honnête, cette décision de report n’est pas tout à fait une surprise. Certains élus s’étaient déjà prononcés en sa faveur durant la campagne électorale. Ce qui est plus surprenant, c’est la méthode. Les trois partis francophones ont annoncé hier soir qu’ils déposeraient une proposition d’ordonnance dès la rentrée de septembre sur cette question, ainsi que sur le maintien du programme Rénolution en 2024 (ceux qui ont réalisé et payé leurs travaux avant le 31 décembre auront bien droit à la prime). Deux propositions d’ordonnances qu’ils feront passer avec le soutien d’autres groupes comme le PTB ou Fouad Ahidar, mais qui court-circuitent en quelque sorte les négociations pour former un gouvernement. La question de la LEZ est donc sortie du périmètre de négociation. Les partis néerlandophones n’ont pas été associés à cette décision, même si l’on indique qu’Elke Van den Brandt a été informée en amont. Dans sa réaction hier soir, la formatrice néerlandophone précisait donc qu’elle considérait la question comme sensible. On ne connaît pas encore la position de Vooruit, un autre parti néerlandophone traditionnellement attaché aux questions de qualité de l’air. Et du côté des écologistes francophones, désormais dans l’opposition, on crie au scandale et au renoncement, en rappelant que la pollution automobile est aussi, et surtout, une cause de maladies respiratoires.
Depuis les élections du 9 juin, les partis bruxellois sont englués dans une sorte de non-négociation. Côté francophone, une majorité a été trouvée, composée du MR, du PS et des Engagés. Côté néerlandophone, elle n’existe pas ou pas encore. Du coup, il est impossible de réunir autour d’une même table les partis francophones et néerlandophones. En théorie, rien n’empêche les partis de former la majorité de leur choix, dossier par dossier, surtout sur des matières qui, comme ici, ne requièrent pas la double majorité. Mais ce n’est pas l’usage. Habituellement, on règle les dossiers sensibles entre partenaires de la majorité, et on applique ensuite une discipline majoritaire. Il est donc vrai qu’en décidant entre partis francophones seulement, le MR, le PS et les Engagés ne créent pas les conditions d’un dialogue facile avec Elke Van den Brandt.
Au-delà du fond, cette communication, tombée un dimanche soir, est avant tout une rupture sur la forme. C’est comme si les partis francophones actaient qu’il ne sera pas possible de trouver un accord avant les élections communales. Ils ont donc choisi de passer à la vitesse supérieure et de marquer des points dans l’opinion sur une question qui clive l’opinion. Plutôt que de tourner en rond, commençons à légiférer, même sans accord de gouvernement. Il est clair désormais que le gouvernement en affaires courantes de Rudi Vervoort doit se préparer à rester en poste plus longtemps que prévu. Cela signifie aussi que les partis francophones ont décidé de mettre en scène leur divergence de vues avec Elke Van den Brandt sur les questions d’environnement et de mobilité, jugées électoralement rentables. La formatrice néerlandophone paraît ce lundi matin relativement isolée. Cela n’empêche pas qu’elle soit incontournable, sauf à imaginer qu’on fasse sortir Groen des négociations pour faire monter la N-VA et Fouad Ahidar. Cela semble difficilement imaginable. Il faudra faire avec Elke Van den Brandt, qu’on vient pourtant de mettre dans un coin. C’est une sorte de séisme dans un monde politique bruxellois qui était plutôt apaisé ces dernières années. L’irruption de méthodes basées sur le rapport de force pur et dur et la communication offensive. Une sorte de doctrine Bouchez qui ne s’embarrasse pas de demi-mesures et ne cherche pas à contenter tout le monde. Une manière de tourner le dos à la méthode consensuelle qui était jusqu’ici plutôt la règle en Région bruxelloise. Cela pourrait laisser plus de traces qu’on ne l’imagine.
Fabrice Grosfilley