L’édito de Fabrice Grosfilley : avancer sans pouvoir bouger
Comment donner l’impression d’avancer quand on est bloqué ? Comment ne pas être totalement à l’arrêt alors que vous êtes enfermé dans une voiture, que le réservoir est à sec, et qu’il n’y a personne pour pousser ? Le feu a beau être au vert devant vous, vous pouvez gesticuler, le véhicule n’avancera pas. Au mieux, vous comptez sur une légère pente douce pour vous donner l’illusion de gagner quelques centimètres et vaincre l’impression d’immobilisme. Cette voiture à l’arrêt, dont les occupants attendent le redémarrage, c’est un peu l’image que donnent les négociateurs du gouvernement bruxellois ces dernières semaines. À l’intérieur du véhicule, trois hommes : David Leisterh, au volant ; sur le siège passager, en train d’entrer des données dans le GPS, Ahmed Laaouej ; et sur la banquette arrière, attentif à ce qui se passe autour, Christophe De Beukelaere. Autour de la voiture, sur le trottoir, les négociateurs néerlandophones, qui pour l’instant refusent de monter dans le véhicule ou de lui apporter le carburant nécessaire. Voici donc la situation des négociateurs bruxellois, condamnés à attendre. Attendre notamment de voir si le résultat des élections communales changera quelque chose à leur situation. Attendre de voir si Groen décide finalement de monter dans la voiture avec eux ou si une autre coalition néerlandophone peut émerger.
En attendant, il faut bien s’occuper. Et si possible, s’occuper de manière utile, histoire de prendre de l’avance sur ce qui les attend de l’autre côté du carrefour des communales. David Leisterh a donc annoncé hier la mise sur pied d’un comité de pilotage sur le budget. Un comité composé de hauts fonctionnaires, qui sera chargé de proposer des pistes d’assainissement. En clair, les fonctionnaires sont priés de proposer des trajectoires budgétaires et les moyens de les atteindre. Quelles sont les économies possibles, dans quels secteurs, et avec quelles conséquences, pour éviter un dérapage budgétaire que David Leisterh a lui-même estimé proche de deux milliards d’euros à politique inchangée ? Sur ce comité de pilotage, on n’a pas encore beaucoup de détails. Ni sur sa composition précise, ni sur le rythme auquel il travaillera, et aucun agenda n’a encore été communiqué. L’idée, en revanche, est assez claire : préparer le terrain avant que les politiques ne prennent le relais. Soit en endossant les conclusions de ce groupe de pilotage, soit en retravaillant les pistes proposées. Il n’est pas rare que les fonctionnaires en charge des matières financières ou budgétaires proposent des solutions jugées trop radicales par le monde politique. Assainissement budgétaire, oui, remède de cheval, non merci.
Cette initiative de David Leisterh fait écho à une déclaration qu’Ahmed Laaouej avait déjà faite sur BX1 il y a quelques semaines, indiquant qu’il faudrait peut-être que le Parlement bruxellois, après avoir voté le report de la prochaine phase de la zone de basse émission et une résolution sur le paiement des primes rénovations, se saisisse également des questions budgétaires. Et tant pis si l’on n’a toujours pas de gouvernement, rien n’empêche le Parlement d’avancer sur ce sujet si une majorité se dégage. La priorité est de pouvoir adopter un budget avant la fin de l’année pour qu’il soit d’application en janvier. En demandant à un groupe d’experts de préparer le terrain, David Leisterh confirme donc que le budget est une préoccupation et une priorité. En même temps, il temporise : on ne sait pas combien de temps le groupe de pilotage aura pour rendre ses conclusions. Accessoirement, il reprend la main en posant sa propre initiative.
Ne nous leurrons pas, la mise en place de ce groupe de pilotage n’est pas une révolution. Depuis juillet, les négociateurs francophones ont planché à de multiples reprises sur le budget. Ce n’est pas comme s’ils allaient découvrir des chiffres tombés du ciel. Il y a aussi un véritable danger à se présenter devant le Parlement sans avoir un accord politique préalable sur un sujet aussi sensible que le budget. Augmenter des taxes, couper dans les services, prévoir des fusions d’administrations, réduire les subsides ou supprimer des postes, ce n’est pas un exercice facile. Il faudra que les partis de la future majorité soient déjà solidement unis et disciplinés pour espérer y arriver. Dans le cas contraire, on risque une surenchère de promesses populistes qui aurait l’effet inverse de celui recherché : plomber les finances bruxelloises au lieu de les assainir. Le budget, c’est le moment de vérité, celui où l’on assume les mesures impopulaires en tournant le dos aux promesses de la campagne électorale.
Dans cet épisode budgétaire, il manque toujours la participation des partis néerlandophones. Même s’il est précisé que cette fois-ci, Elke Van den Brandt a été consultée, et que le ministre actuel du budget, Sven Gatz, a été contacté. Ce matin, dans La Libre Belgique, une autre information pourrait d’ailleurs attirer votre attention : une note du cabinet de constitutionnalistes de Marc Uyttendaele étudie une piste envisageable pour installer un gouvernement bruxellois sans majorité néerlandophone. L’idée consisterait à révoquer les ministres francophones du gouvernement actuel et à les remplacer un à un par de nouveaux ministres. Un à un pour éviter un vote d’installation d’un nouveau gouvernement et ainsi échapper à l’obligation d’une double majorité. C’est évidemment alambiqué et peu crédible, et cela ne résout en rien la difficulté de former une majorité du côté néerlandophone. Mais cela éclaire sur les grandes questions qui préoccupent, voire angoissent, les négociateurs du prochain gouvernement bruxellois. D’abord, trouver une majorité du côté néerlandophone, ou trouver un moyen de contourner cette difficulté. Ensuite, trouver un accord sur le budget. David, Ahmed et Christophe sont dans une voiture. La voiture n’avance pas. Et ses occupants commencent à trouver le temps long.