L’édito de Fabrice Grosfilley : après Audi

Renault, Opel, Ford et maintenant Audi. Quatre noms de constructeurs automobiles. Quatre conflits sociaux qui marqueront l’histoire sociale en Belgique. Comme si Renault, Opel et Ford avaient été les trois coups d’une pièce de théâtre dont on connaissait l’épilogue, mais à laquelle nous sommes contraints d’assister jusqu’au bout, à Audi Forest. Faute d’avoir les moyens d’intervenir, nous n’en sommes que de simples spectateurs. Ou pire encore, des victimes, si l’on se place du point de vue des travailleurs qui perdent leur emploi.

Cette nuit, direction et syndicats se sont séparés sur un nouveau constat d’échec. La réunion de conciliation, qui a duré une partie de la nuit, n’a pas permis de rapprocher les points de vue. On ne sait d’ailleurs pas très bien ce que les deux parties essayaient de concilier puisque la direction avait mis un terme aux négociations sur le plan social. La direction d’Audi va désormais aller devant les travailleurs avec sa proposition d’indemnités. Chaque travailleur devra dire s’il l’accepte ou non. Les syndicats tenteront de convaincre les travailleurs de ne pas accepter et de poursuivre le combat. La direction va donc tenter d’aller vite : on parle d’une proposition à prendre ou à laisser, qui serait présentée aux travailleurs dans les prochains jours. De leur côté, les syndicats appellent à une manifestation pour lundi prochain.

Renault, Opel,  Ford, Audi. On a donc l’impression que l’histoire se répète. En 1997, la fermeture de Renault Vilvorde avait mis sur le carreau 3 000 ouvriers. C’était à l’époque une surprise à laquelle personne ne s’attendait. L’usine était moderne, considérée comme productive ; elle produisait la Renault Mégane, l’un des fleurons du groupe. La mobilisation des ouvriers, incarnée par le syndicaliste Karel Gacoms, ne changera rien à l’affaire. Le soutien des autorités politiques – Jean-Luc Dehaene au gouvernement fédéral, Luc Van den Brande au gouvernement flamand – ne suffira pas non plus. Mais on avait quand même décidé d’une loi : la procédure Renault, dont on espérait qu’à l’avenir, elle permettrait d’éviter cette politique du fait accompli de groupes industriels fermant une usine sans préavis et sans négociations. La procédure Renault impose donc plusieurs phases d’information et de consultation. Elle oblige également l’employeur à payer une indemnité supplémentaire en cas de licenciement collectif.

Renault, c’était il y a 27 ans. Il y eu ensuite Opel Anvers, 2600 salariés en 2010. En 2014, c’était au tour de l’usine Ford à Genk. Il y a très exactement 10 ans, le 18 décembre 2014, les portes de cette usine, où travaillaient 4 300 ouvriers et employés, se sont fermées définitivement. La fermeture de l’usine du constructeur automobile américain a aussi entraîné la perte de milliers d’emplois chez les fournisseurs et les entreprises dépendantes de l’usine. Au total, l’organisation patronale flamande Voka estime que 10 000 emplois ont été perdus. La production des Mondeo, S-Max et autres Galaxy a été envoyée à Valence, en Espagne. Le Limbourg, durement touché, lance alors un plan de redéploiement. Des aides seront distribuées à plus de 700 entreprises, avec la création de 11 000 emplois.

Aujourd’hui, c’est donc le tour d’Audi Forest, avec plusieurs constats. D’abord, les pouvoirs publics ne sont jamais en mesure de contrer une décision qui relève de la logique économique d’un grand groupe international. La vérité, c’est qu’ils n’essayent même pas. Ensuite, l’emploi industriel appartient de plus en plus au passé. Les usines d’assemblage automobile migrent vers l’Europe de l’Est, l’Asie ou l’Amérique du Sud. La dernière exception aujourd’hui, c’est Volvo à Gand, qui emploie 7 000 personnes. Volvo Gand est le plus grand employeur industriel de Flandre orientale. Enfin, un constat plus positif : il existe un avenir pour ces sites industriels.

À Genk, la reconversion a plutôt réussi avec l’installation de nombreuses entreprises tournées vers le plastique. À Anvers, sur le terrain d’Opel, il a fallu  en revanche attendre dix ans avant que de nouvelles entreprises, plutôt tournées vers la chimie, s’installent sur le site, pourtant idéalement situé à côté du port. À Vilvorde, il aura fallu 20 ans pour que la dépollution du site démarre enfin. C’est maintenant un nouveau quartier, avec des logements, des commerces et des bureaux, qui s’est installé.

Trois parcours très différents qui prouvent qu’il y a un après à la catastrophe industrielle et au séisme social qui l’accompagne. Mais pour le réussir et ne pas s’engluer en route, il faut le préparer, l’accompagner, avoir un plan, trouver des partenaires pour le réaliser, se mobiliser, concerter, convaincre et trouver des financements. Si vous voulez une raison de plus d’avoir rapidement un gouvernement bruxellois, l’avenir du site d’Audi Forest est, à lui seul, une bonne raison d’accélérer le mouvement.