L’édito de Fabrice Grosfilley : Anne ma sœur Anne, dans l’antre de Barbe Bleue

« Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? — Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie. » Vous connaissez peut-être cette citation tirée du conte Barbe Bleue de Charles Perrault. La nouvelle épouse de Barbe Bleue vient de découvrir que son mari a égorgé toutes ses précédentes compagnes. Elle attend désespérément l’arrivée de ses frères pour la sauver et demande à sa sœur Anne, postée en haut d’une tour, si elle voit les cavaliers venir au loin. « Je ne vois rien que le soleil qui poudroie et l’herbe qui verdoie » : c’est une formule poétique pour dire qu’on ne voit rien venir. Que l’attente est vaine. Et qu’il ne se passera probablement rien de ce qu’on espère.  Nous sommes, à Bruxelles, comme la femme de Barbe Bleue. Nous n’avons plus les moyens de nous défendre. Nous attendons, en vain, qu’un événement improbable nous sauve du monstre qui nous menace.

Le dernier espoir qui s’est effondré hier, c’était l’idée d’une relance des négociations, sur la base d’une note budgétaire que le Mouvement Réformateur avait annoncée ce week-end. Une nouvelle trajectoire budgétaire, censée être déposée ce mercredi pour « sortir la Région de l’étouffement financier créé par de nombreuses années de non-gestion ». Une note qui aurait été soumise aux partis démocratiques, avait précisé l’entourage de Georges-Louis Bouchez et de David Leisterh.

Hier, il n’y a finalement pas eu de note. Non seulement elle n’a pas été communiquée à la presse, mais aucun parti ne l’a reçue. Pire : d’après nos informations, entre le moment où cette note a été annoncée et aujourd’hui, le MR n’a pris contact avec aucun partenaire pour discuter de ce qu’il aurait pu mettre dans cette fameuse trajectoire. Nous sommes donc ce matin face à une note fantôme. Qui existe peut-être. Ou peut-être pas.

Comme le Mouvement Réformateur a décidé de ne pas communiquer et de garder le mystère sur ses intentions, nous en sommes réduits, ce matin, à des hypothèses. Peut-être que le MR n’a pas eu, matériellement, le temps de préparer sa fameuse trajectoire budgétaire. Pris entre le Doudou et les débats compliqués autour de la coalition Arizona, c’est peut-être un simple retard à l’allumage. Peut-être que le MR estime que la situation n’est pas propice à une initiative, et qu’il craint que, quoi qu’il fasse, le Parti Socialiste et Ecolo lui opposent un non ferme, tant les relations sont devenues exécrables. Peut-être que le MR hésite sur la ligne à adopter : faut-il assumer un discours très libéral et proposer une trajectoire dure, qui ramènerait à l’équilibre budgétaire en sept ans ? Ou au contraire, opter pour une trajectoire plus souple, visant un retour à l’équilibre à dix ans, comme d’autres niveaux de pouvoir ?

Mardi matin, la fédération bruxelloise du Parti Socialiste avait d’ailleurs envoyé un signal assez clair sur cette question. À la fin d’un communiqué dans lequel les socialistes francophones fustigeaient la décision de Vooruit de quitter les négociations de la coalition dite « progressiste », les PS bruxellois avaient glissé qu’ils restaient disponibles pour « apporter leur sérieux et leur méthode et sortir de l’impasse actuelle », tout en rappelant qu’ils « ne contribueraient pas à une coalition Arizona bis avec la N-VA pour mettre en œuvre une politique d’austérité aveugle, concentrant les efforts budgétaires sur les services publics et les politiques sociales, sans recettes nouvelles substantielles ». En d’autres termes, le PS posait ses conditions pour reprendre les discussions : ce sera sans la N-VA, et il faudra des recettes nouvelles — donc une hausse de la fiscalité.

En annonçant une nouvelle trajectoire budgétaire, on s’attendait à ce que le MR réponde à cet appel du pied. Donne sa position. Est-ce que, oui ou non, il peut accepter les conditions du PS et relancer des négociations ? Anne, ma sœur Anne… on attend toujours la réponse du Mouvement Réformateur. Qui, à ce stade, a choisi de ne pas répondre.

Du coup, les négociations restent ce matin dans un no man’s land… où le soleil poudroie, et l’herbe verdoie. Le MR a toujours la main, mais il ne se passe rien. Et ceux qui essaieraient de prendre une initiative à sa place risquent fort d’être désavoués.  Nous sommes Anne, ma sœur Anne, condamnés à attendre qu’il se passe quelque chose… avant que l’ogre Barbe Bleue n’achève d’égorger — financièrement parlant — la Région bruxelloise pour la mettre sous tutelle.

On ne va pas être trop négatif : à la fin du conte de Charles Perrault, les cavaliers arrivent enfin. Et, au moment où Barbe Bleue s’apprête à égorger sa femme, ils la libèrent in extremis et la jeune femme finit par épouser un homme honnête. Ça, c’est un conte de fées. Dans la réalité, on forme le vœu que ça puisse se terminer de la même manière.

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19 juin 2025 - 07h48
Modifié le 19 juin 2025 - 12h13

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