L’édito de Fabrice Grosfilley : accéder au fauteuil du bourgmestre
Une élection à la proportionnelle suivie d’une négociation. On a parfois tendance à l’oublier, mais les élections en Belgique se déroulent toujours en deux étapes. La première, où c’est l’électeur qui a la main. La seconde, où ce sont les élus qui reprennent la main, en fonction des cartes distribuées par l’électeur. 48 heures après l’élection communale, nous sommes donc dans cette phase-là : la constitution des majorités, avec plusieurs cas de figures.
Premier cas, le plus simple : la liste arrivée en tête dispose d’une majorité absolue. Elle peut gouverner seule, mais elle peut aussi s’ouvrir à un autre partenaire pour favoriser le pluralisme et éviter les dérives d’un fonctionnement à huis clos. Cette majorité absolue, c’est ce que l’électeur a voulu à Woluwe-Saint-Pierre, Woluwe-Saint-Lambert, Auderghem, Saint-Josse-ten-Noode, Koekelberg et Evere. Dans ces communes, les choses sont donc très claires, le mandat de l’électeur est facile à traduire.
Deuxième cas de figure : la liste arrivée en tête n’a pas la majorité absolue, mais elle trouve des partenaires qui l’aident à former une majorité. C’est ce qui se passe à Etterbeek, Ganshoren, Jette, Berchem-Sainte-Agathe et Saint-Gilles. C’est probablement ce qui se passera à Molenbeek, même si les négociations sont toujours en cours.
Troisième cas de figure : la liste arrivée en tête n’arrive pas à former une coalition qui confirme sa suprématie. Avec deux variantes : soit cette liste numéro 1 sera bien dans la majorité, mais elle n’aura pas le mayorat. C’est la situation d’Anderlecht, où la liste MR-Engagés a dû concéder le mayorat au Parti socialiste. Soit elle se fait carrément renvoyer dans l’opposition, avec des partis qui négocient une majorité contre la plus grosse formation politique de la commune. Les plus petits unis contre le plus gros. C’est ce qui s’est passé à Ixelles, où Ecolo, premier parti de la commune, est exclu par une alliance MR-PS-Engagés. C’est aussi ce qui s’est passé à Tournai par exemple. Évidemment, ce genre de manœuvre ne se fait pas gratuitement. À Ixelles, par exemple, le PS a profité de ce renversement d’alliance pour ravir un mayorat qu’il aurait probablement cédé à Christos Doulkeridis s’il était resté en coalition avec les Verts. Une manière de faire monter les enchères. Les libéraux ont marché dans la combine car cela leur permettait d’entrer dans la majorité.
Ce matin, il reste deux communes où ce type de négociation est toujours en cours en région bruxelloise : Forest et Schaerbeek. À Forest, PS et Ecolo, les partenaires de la majorité sortante, négocient actuellement avec le PTB. Si cela ne marche pas, ils pourront toujours retourner vers la liste MR-Défi. Autre négociation à Schaerbeek, où la liste PS d’Hasan Koyuncu a commencé à discuter avec la liste MR-Engagés d’Audrey Henri. Là, il faut un troisième partenaire, qui pourrait être soit Ecolo, soit la liste du bourgmestre sortant Bernard Clerfayt. Et une arithmétique qui n’est pas figée. Le MR annonce ce matin le renfort de Saït Kose, qui rejoindrait le groupe libéral après avoir été élu sur une liste indépendante, ce qui permettrait au MR de revendiquer 11 sièges et non plus 10, ce qui lui permettrait de passer devant le PS. Côté socialiste, on rappellera que MR-Engagés est un cartel, argument déjà utilisé à Anderlecht notamment, et qu’Hasan Koyuncu est le champion des voix de préférence. À Schaerbeek, à Forest, et sans doute à Molenbeek, les négociations risquent de durer encore quelques jours.
Faisons les comptes. À ce stade des négociations, le MR peut compter sur 3 mayorats, les Engagés en ont 4, le PS 7 et Défi en a 2. Ecolo, de son côté, a perdu les 3 bourgmestres qu’il avait en région bruxelloise. Si on regarde un peu en détail la composition des négociations, on se rend compte que la coalition MR-PS-Engagés, celle qui est en train de se négocier au niveau de la Région bruxelloise, a été dupliquée dans plusieurs communes. À Ixelles donc, mais aussi à Anderlecht, à la Ville de Bruxelles et à Etterbeek. Elle est encore possible à Schaerbeek et à Forest. Et puis, il y a des contre-exemples. David Leisterh, lui-même, par exemple, a préféré s’allier à Ecolo dans sa commune de Watermael-Boitsfort, alors qu’il aurait pu faire monter le Parti socialiste à bord. Bien sûr, les négociateurs locaux vous diront toujours qu’ils ont décidé en toute liberté et en tenant compte des équilibres locaux uniquement. Mais on le sait, dans certains cas les états majors régionaux voir nationaux ne sont jamais très loin de ce qui se passent dans les communes. En particulier dans les communes emblématiques. Et en particulier aussi lorsque les négociations durent un peu plus longtemps que prévu. Il n’est pas exclu, 48 heures après les élections, que ces états-majors tentent d’imposer un grand troc : “Nous pouvons faire alliance à Schaerbeek, mais à condition d’être présents à Forest. Nous vous laissons le mayorat là, mais nous exigeons de l’avoir ici.” Ce n’est pas la manière la plus noble de faire de la politique, mais elle existe. Avec le risque que le citoyen ait un jour la désagréable impression que ce n’est pas forcément dans sa commune que la question des alliances aura été tranchée. C’est une réalité politique : dans un système proportionnel, il y a deux tours. Le premier, celui des citoyens. Le second, celui des partis. Il faut gagner deux fois quand on veut pouvoir s’asseoir dans le fauteuil du bourgmestre.