L’édito de Fabrice Grosfilley : à chacun son message
Dans son édito de ce mardi 12 septembre, Fabrice Grosfilley revient sur les derniers mots des accusés des attentats du 22 mars 2016 avant la délibération sur les peines.
Ce n’est pas encore le clap de fin, mais on sent qu’il n’est plus très loin. Au procès des attentats du 22 mars, les jurés sont désormais entrés dans une dernière délibération. Dans quelques heures ou quelques jours, probablement avant la fin de la semaine, on saura quelles sont les peines auxquelles sont condamnés les accusés. Justice sera faite. Pour les victimes, ce sera la possibilité d’essayer de tourner une page. À défaut de pouvoir clore le chapitre que ces attentats a installé au cœur de leur existence. Que les séquelles physiques soient importantes ou pas, ce chapitre ne se refermera sans doute jamais. Et le traumatisme continuera à les accompagner toute leur existence.
La dernière journée du procès a permis d’entendre une dernière fois les sept accusés présents. Le huitième, Oussama Atar, est présumé mort et jugé par défaut. Osama Krayem n’a pas souhaité s’exprimer. Les autres ont prononcé des paroles importantes. Pour les victimes d’abord : puisque c’est à elles que les hommes qui comparaissent dans le box devaient s’adresser. Des derniers mots importants pour les accusés eux-mêmes aussi. Cette prise de parole sonnait comme une dernière occasion de pouvoir communiquer vers l’extérieur, avant un long passage par la case prison. L’occasion de faire passer un ultime message au jury et à l’opinion publique, la possibilité d’améliorer son image. Aux éléments de défense, suggérés ou pas par les avocats, s’ajoutait la conscience que les paroles prononcées allaient potentiellement entrer dans l’Histoire et qu’il ne fallait sans doute pas rater cette dernière possibilité d’adresser une pensée aux victimes.
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Hier matin, des choses importantes ont donc été dites par les accusés. Parce qu’un certain nombre d’entre eux ont enfin accédé au registre des regrets, voir des excuses. Le plus spectaculaire dans cet exercice était sans doute Mohamed Abrini. C’est d’ailleurs celui qui a parlé le plus longtemps, exprimant des regrets en demi-teinte. “Je n’oublierai pas les victimes. Ces gens-là étaient innocents, ils ne demandaient qu’à vivre leur vie. Personne dans ce box ne se réjouit de ce qu’il s’est passé”, a indiqué Mohammed Abrini. Mais sa demande de pardon sera accompagnée d’une critique en filigrane de l’État belge. “Je voudrais demander pardon aux victimes et je suis encore plus désolé parce qu’elles ont été abandonnées par les autorités et par les assurances. C’est rajouter du malheur au malheur (…)”. Et encore : ” Je suis pessimiste de nature et je pense que ça ne changera pas. Il y a des millions de musulmans sur terre, il y en a toujours qui voudront instaurer un califat. J’ai peur qu’il y ait d’autres attentats”. La dernière phrase est glaçante et sonne comme un avertissement. On a pu mesurer dans ses propos que le projet politique des terroristes, qui se voulaient les bras armés de l’organisation État Islamique, n’a pas complètement disparu de leur esprit.
Salah Abdeslam était lui dans un registre où les excuses s’effaçaient derrière un discours qui servait avant tout sa stratégie de défense. La victimisation avait plus d’importance que les victimes. Et, pourtant, c’est à ces victimes que Salah Abdelsam a commencé par s’adresser : “Ne croyez pas tout ce qu’on vous a dit dans les médias. Moi, j’ai eu de l’empathie pour vous, j’ai pensé à vous, je me suis remis en question”, a assuré le trentenaire. “J’ai participé au 13 novembre, à la rue du Dries, j’ai dit ce que j’ai fait et ce que je n’ai pas fait. Ici, je vous ai dit que vous n’êtes pas mes victimes, j’ai peut-être été maladroit, mais je n’ai pas participé au 22 mars, je ne connaissais pas le projet (…) Je subis un harcèlement juridique.” Et Salah Abdeslam reconnu malgré tout coupable de participation aux attentats de poursuivre : “je ne suis pas d’accord avec votre verdict. Dois-je vous en vouloir ? La question se pose, vous n’êtes pas des magistrats professionnels, l’erreur est humaine et moi, je suis Salah Abdeslam. (…) Ce que je voudrais, c’est qu’on me juge comme les autres. Je vous demande d’être juste dans cette dernière décision.” Et Salah Abdeslam de s’enfermer dans un propos narcissique où il se préoccupe de son sort et non pas de celui de ceux qui ont pu perdre la vie, la santé ou un proche dans les attentats.
“Je suis en prison depuis mes 26 ans, j’en ai 34. Les années passent, on se remet en question, on essaye d’être meilleur, mais on ne veut pas me donner ma chance, m’aider dans ce sens. Quand je parle des droits de l’homme, ça fait tache. Quand je demande quelque chose qui est dans mon droit, ça dérange.”
Dans le registre des excuses, on retiendra plutôt celles de Bilal El Makhouki, qui dit ne pas pouvoir se trouver d’excuses. “Peu importe la peine à laquelle je vais être condamné, ce ne sera jamais à la mesure de la peine que les victimes subissent depuis sept ans”, a expliqué l’homme considéré comme le logisticien de la cellule terroriste, qui n’est pourtant pas un enfant de chœur (il a dit avoir passé les meilleures années de sa vie à combattre en Syrie, et n’a jamais voulu dire où les armes de la cellule avaient été cachées). “Ici, j’ai vu tout ce que j’avais toujours refusé de voir : l’impact sur les victimes, sur leurs familles… Même pendant l’enquête, je n’avais jamais cherché à regarder. Quand on est en cellule, ça nous poursuit de savoir si on regrette ou pas. Le plus dur, ce n’est pas de dire ici qu’on regrette, c’est de se le dire à soi-même”. Il y avait dans cette déclaration des accents de sincérité. Et ce sont sans doute ces paroles-là, qui ont fait le plus de bien aux victimes des attentats, que, nous aussi, dans le public, nous avons envie de retenir.
Fabrice Grosfilley