L’édito de Fabrice Grosfilley : 7 octobre

Le souvenir et le recueillement. Aujourd’hui, 7 octobre, Israël se remémore le traumatisme de l’attaque surprise du Hamas. Plus de 1 200 morts, en grande partie des civils. Des viols, des exactions particulièrement violentes et sordides, et aussi 250 Israéliens pris en otage et emmenés dans la bande de Gaza. La sidération avait été immense. Comment les services israéliens avaient-ils pu ne rien voir venir ? Comment cette barrière, qualifiée d’infranchissable, bourrée de capteurs et d’outils de vidéosurveillance, avait-elle pu céder si facilement ? Pourquoi l’armée israélienne avait-elle été dans l’incapacité de réagir rapidement, laissant les habitants des kibboutz se défendre seuls face à leurs assaillants pendant de longues heures ? À la sidération, il a fallu ajouter le dégoût. Les exactions des femmes violées, des corps mutilés, des enfants assassinés, des otages ramenés comme des trophées. La guerre au Proche-Orient est aussi une guerre d’image et de propagande, dans les deux sens. Et ces images sont encore aujourd’hui dans nos mémoires ; elles repassent et repasseront encore dans les prochaines heures sur tous les écrans.

En réponse au 7 octobre, l’armée israélienne allait lancer une campagne sans équivalent de bombardements sur la bande de Gaza. Des quartiers entiers rayés de la carte, dont il ne reste que quelques carcasses d’immeubles au milieu d’une mer de gravats. Des incursions terrestres aussi, dans le but d’aller chercher les dirigeants du Hamas et dans l’espoir de libérer des otages retenus dans des caches souterraines, le sous-sol de la bande de Gaza étant devenu un dédale de tunnels grâce auxquels les milices palestiniennes se déplacent à l’abri du regard des Israéliens. 41 000 morts au total, un chiffre qui pourrait être sous-estimé. “Nous allons éradiquer le Hamas”, avait promis le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Communiqué après communiqué, on peut dire que c’est en partie chose faite aujourd’hui. Mais cette lutte sans merci contre l’agresseur du 7 octobre s’est aussi faite au prix de très nombreuses victimes civiles. On parle d’au moins 11 000 enfants gazaouis tués dans les opérations militaires de ces derniers mois. Aucun autre conflit n’a tué autant d’enfants en l’espace d’un an, affirme l’organisation Oxfam.

En tant que journaliste, je le sais, ce billet, comme d’autres, suscitera probablement de nombreux commentaires d’incompréhension, d’hostilité, voire d’insulte. Des réactions qui viendront d’un camp, de l’autre, ou des deux. Parce que nous ne pouvons pas évoquer le conflit israélo-palestinien sans être accusés de mal faire notre travail. Accusés de prendre parti, accusés de ne pas tout dire, accusés d’être aveuglés par nos engagements, d’être à la solde de l’un ou de l’autre ou manipulés. Comme si un récit neutre, au-dessus de la mêlée, qui dénoncerait les exactions des deux camps, n’était pas possible. Quand il s’agit du Proche-Orient, tous les journalistes avancent donc avec une extrême prudence. Il faut peser chaque mot et tourner sa plume ou son clavier d’ordinateur sept fois dans son cerveau avant d’appuyer sur “enter”. Pourtant, le problème n’est peut-être pas tant du côté des journalistes que du côté des militants, des deux camps, qui s’identifient à une cause ou à une autre et qui se refusent à avoir une vue d’ensemble. Qui voient toujours les exactions du camp d’en face comme la pire des barbaries, mais qui trouvent toujours des excuses quand on parle des horreurs commises par ceux dont ils se sentent proches.

Après un an de souffrance et de guerre quasi totale à Gaza, il devrait pourtant être possible de renvoyer en partie les protagonistes dos à dos et d’en appeler à la morale et au droit international. On le sait, la violence ne va pas disparaître par miracle dans cette région du monde. Deux peuples pour une seule terre n’est pas une équation que l’on résout si facilement. Quand l’un a le sentiment d’être en permanence menacé dans son existence, après avoir déjà dû lutter pour sa survie, qu’il a expérimenté les horreurs de la Shoah, et l’autre le sentiment d’être spolié de ses biens par un processus de colonisation injuste, il y a de part et d’autre de bonnes raisons de prendre les armes. Ce principe de la violence politique est une réalité, il a d’ailleurs été théorisé : face à l’injustice ou à l’insécurité, on peut estimer légitime de se rebeller pour que les choses changent ou de se protéger si l’on craint pour sa vie ou celle de ses proches (on pourra relire à l’occasion Frantz Fanon sur le sujet). C’est justement là que la morale ou le droit international peuvent intervenir. L’un des principes de la morale, c’est que l’usage des armes, quand on se l’autorise, doit être juste et proportionné. Que, par exemple, l’assassinat d’enfants ou les exactions commises sur les femmes ne sont jamais moralement justifiables. Que s’en prendre aux civils, quel que soit le contexte, est l’arme des lâches. Et que le droit international est là pour rappeler que même en temps de guerre, tout n’est pas permis.

Un an après, on devrait donc pouvoir dire que l’attaque sauvage du Hamas, ses méthodes d’intimidation et les exactions commises lors de l’assaut, comme la réponse d’Israël, avec ses frappes qui n’ont rien de chirurgical et ce qui ressemble à une destruction systématique de la bande de Gaza, ne sont pas plus acceptables l’un que l’autre. Que le terrorisme du Hamas et du Hezbollah nous fait horreur, nous donne envie de vomir. Que la réaction de l’armée israélienne nous semble largement disproportionnée. Et que pour nous, c’est finalement ni l’un ni l’autre.

Fabrice Grosfilley

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07 octobre 2024 - 11h20
Modifié le 07 octobre 2024 - 11h20