L’édito de Fabrice Grosfilley : +1,63 degrés

Dans son édito de ce jeudi 6 juin, Fabrice Grosfilley revient sur le réchauffement climatique.

Une année entière de records. C’est ainsi qu’on pourrait résumer les observations des satellites Copernicus, ces satellites européens qui mesurent la température sur l’ensemble de la planète. Les données pour le mois de mai sont tombées hier. Elles seront publiées dans le détail dans quelques heures, mais on sait déjà que les températures enregistrées ont été les plus élevées jamais observées pour un mois de mai. Un record qui dépasse la moyenne observée entre 1991 et 2020 de 0,75 degré, soit 3/4 d’un degré. Si on se réfère à la période préindustrielle, la période 1850-1900 (avant 1850, on n’a pas de relevés fiables pour comparer), l’augmentation est de 1,63 degré. Ce mois de mai est donc un record. Avril était un record, février était un record, janvier aussi. C’est le douzième mois d’affilée que le thermomètre s’affole. Un an de hausse de température en continu, j’imagine que ça se fêtera chez les climatosceptiques.

Deuxième information, peut-être encore plus importante pour les données climatiques. On n’est plus dans l’observation, mais dans la prévision cette fois, avec l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et l’Office météorologique du Royaume-Uni (Met Office) qui publient leur mise à jour annuelle des prévisions climatiques. Un rapport qui porte sur la période 2021-2028 et qui annonce qu’il est probable qu’on dépassera, sur une base annuelle, dans les quatre ans, le record de 2023. Traduit autrement, ça veut dire que la fameuse augmentation des 1,5 degrés que l’on s’était fixée lors des accords de Paris, on y est déjà. Ce cap sera donc probablement franchi d’ici 2028 selon ce rapport. Le réchauffement climatique est donc en train de s’accélérer. On parlait dans le passé d’un dixième de degré tous les dix ans. Aujourd’hui, c’est plus du double. On est plutôt à un quart de degré tous les dix ans.Même si cette série finira par s’interrompre, la signature générale du changement climatique demeure et aucun signe de changement de cette tendance n’est en vue“, indique le directeur du service Copernicus. “Nous vivons une époque sans précédent, poursuit-il, mais nous disposons également de compétences sans précédent en matière de surveillance du climat, ce qui peut nous aider à agir en connaissance de cause.”

Dans un podcast que nous avions réalisé et qui est toujours disponible sur BX1, on vous avait expliqué que la Terre ne se réchauffait pas partout de la même façon. Que l’Europe, par sa position géographique, se réchauffait plus vite que d’autres régions du monde. Quand on parle de 1,5 degré de moyenne mondiale, il faut en réalité entendre 4 degrés pour la Région bruxelloise. Alors, écoutez-le vite ce podcast, parce qu’au rythme actuel, il risque d’être rapidement dépassé. Si on attire autant l’attention sur le réchauffement, ce n’est pas par fétichisme des chiffres, pour figurer dans le Guinness Book ou par scientisme, mais parce que ce réchauffement a des répercussions concrètes sur notre environnement, sur notre alimentation en eau, sur notre santé. Avoir quelques degrés en plus, ce n’est pas désagréable en soi. Comprendre que cela se traduira par des vagues de chaleur de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues qui vont entraîner des pics de mortalité, notamment chez les plus âgés, ça change la perspective.

Ce soir, des scientifiques qui se présentent comme “en rébellion” lanceront une série d’actions depuis Bruxelles pour attirer l’attention sur ces enjeux. Ils ont notamment prévu d’illuminer un lieu symbolique de la capitale et mèneront des actions publiques pendant trois jours, y compris des actions de désobéissance civile. On trouvera parmi ces scientifiques des chercheurs venant de grandes universités néerlandophones ou francophones. Ils ne représentent pas toute la communauté scientifique, loin de là (et pointer le défi climatique n’implique pas nécessairement pas de défendre la décroissance), mais plusieurs dizaines de professeurs ou de doctorants participent au mouvement.

Alors, évidemment, nous sommes dans une période particulière. Et j’entends déjà les critiques. Reparler du climat à trois jours d’une élection pourrait paraître tendancieux. Un agenda caché, une manipulation, on tente de faire peur aux électeurs et d’influencer le vote, etc. En réalité, les statistiques de Copernicus tombent chaque début de mois. On n’y peut rien. Le fait que ce soit le 12e mois d’affilée de record de températures est une vérité scientifique. Le monde politique en fait ce qu’il veut. Il peut la regarder en face ou décider de s’asseoir dessus, il a le choix. Et de toute façon, ce n’est pas grave. Le réchauffement climatique ne va pas s’arrêter à la date du 9 juin, quel que soit le résultat des élections. On peut déjà se donner rendez-vous, et savoir qu’on en reparlera, au plus tard le mois prochain.

Fabrice Grosfilley