Didier Reynders suspecté de blanchiment par le biais d’achat de billets de loterie

La période visée s’étendrait sur plusieurs années, et jusqu’à au moins l’année dernière.

Didier Reynders, suspecté de blanchiment d’argent via des billets de loterie, a été perquisitionné et auditionné par la police mardi, a indiqué le parquet-général, confirmant une information du Soir et de la plateforme de médias d’investigation Follow The Money.

L’enquête est ouverte depuis 2023 dans le giron du parquet général de Bruxelles, précise Le Soir. Les autorités soupçonnent une activité de blanchiment par le biais d’achat de billets de loterie dans le chef de l’ancien homme fort du MR. La Cellule de traitement des informations financières a notifié des opérations suspectes sur une longue période et à concurrence d’un montant “relativement important”. 

Concrètement, Didier Reynders est soupçonné d’avoir acheté des “e-tickets”, soit des bons de 1 à 100 euros, achetables dans tous les points de vente et transférables sur un compte de jeu logé à la Loterie nationale.

Selon l’enquête préliminaire, il semble que les achats de tickets de loterie auraient été effectués en partie en cash. Les gains étaient versés sur le compte numérique de l’ancien ministre à la Loterie nationale, et ensuite transférés sur son compte à vue. Comme l’enquête porte sur une période où le libéral était ministre fédéral puis commissaire européen, Didier Reynders jouit d’une immunité, même s’il n’est plus aujourd’hui chargé d’aucun mandat, explique Le Soir. Cette immunité n’empêche pas l’ouverture de l’enquête et la tenue des perquisitions, mais elle exclut à ce stade toute privation de liberté.

Le recours aux jeux de hasard pour blanchir de l’argent est fréquent, selon un fiscaliste

Le blanchiment d’argent via les jeux de hasard est une technique assez fréquente, a expliqué mercredi le professeur de droit fiscal Michel Maus (VUB) sur Radio 1. Les sociétés de jeux ont néanmoins l’obligation de disposer d’un service interne permettant de détecter les éventuelles tentatives de blanchiment d’argent.

L’intervention de M. Maus dans l’émission De Ochtend était liée aux révélations concernant l’enquête ouverte contre Didier Reynders (MR) pour blanchiment d’argent. Selon Le Soir et Follow The Money, l’ancien commissaire européen aurait durant des années acheté des tickets de la Loterie Nationale avant de reverser les gains blanchis sur son compte.

Lire aussi | La Loterie Nationale n’a effectué qu’un signalement pour blanchiment d’argent en 5 ans

Le principe du blanchiment est de donner une origine légitime à de l’argent obtenu illégalement. Ce procédé est indispensable pour pouvoir injecter cet argent sur un compte puisque les banques sont tenues de vérifier la provenance de l’argent qui apparait sur les comptes de leurs clients, a encore précisé Michel Maus. Les gains de jeux de hasard peuvent être l’une des origines légitimes possibles, mais les sociétés de jeux sont également soumises à une règlementation et doivent disposer d’un service interne chargé de détecter et de signaler les agissements suspects à la Cellule de traitement des informations financières (CTIF). Pour passer sous les radars, les personnes qui tentent de blanchir de l’argent font donc souvent appel à une technique appelée le “schtroumpfage” (“smurfing” en anglais), qui consiste à diviser la somme à blanchir en montants plus petits.

M. Maus a néanmoins indiqué que, si quelques transactions pouvaient passer inaperçues, des contrôles pouvaient également être effectués dans la durée et permettaient de détecter ce genre de pratiques. Une personne qui dépenserait 1.000 ou 2.000 euros par mois via un système de “e-tickets” serait donc immanquablement repérée au bout d’un certain temps, a-t-il complété.

La Commission européenne ne disposait d’aucune information préalable

La Commission européenne ne disposait d’aucune information sur les soupçons de blanchiment d’argent que la justice belge fait peser sur l’ex-commissaire Didier Reynders, avant leur révélation dans la presse, a-t-elle indiqué mercredi.

“Si les autorités belges nous contactent, bien sûr nous collaborerons avec elles”, a confirmé un porte-parole, interrogé lors du briefing presse de la mi-journée. Plus généralement, l’immunité dont bénéficie tout membre du collège, même après la fin de son mandat, est purement fonctionnelle, c’est-à-dire qu’elle ne vaut que pour les actes posés à titre officiel, dans l’intérêt de l’Union européenne, précise la Commission. Si un ancien commissaire n’a pas respecté l’article 245 du Traité sur l’Union européenne, qui lui enjoint de “s’abstenir de tout acte incompatible avec le caractère de (ses) fonctions”, le Conseil (États membres) ou la Commission peut saisir la Cour de justice de l’UE, avec à la clé une possible déchéance du droit à la pension ou d’autres avantages.

Ayant atteint l’âge légal de la pension, l’ancien commissaire à la Justice a droit à une allocation de pension de l’Union européenne. La Commission juge prématuré tout commentaire supplémentaire. “Nous ne préjugeons en rien des résultats de l’enquête”, selon le porte-parole. Par ailleurs, l’exécutif européen confirme qu’une demande de levée d’immunité d’un membre du collège impose une décision de ce même collège, au cas par cas. La Commission ne répond pas sur la nécessité de revoir cette règle.

Belga

Reportage de Jim Moskovics, Karim Fahim et Corinne De Beul