Comment se porte actuellement l’extrême droite à Bruxelles?

La ministre de la Défense a été entendue ce mercredi en commission de la Chambre à la suite de la cavale de Jürgen Conings. L’occasion de faire le point sur l’état de l’extrême droite politique et associative dans la capitale.

Voilà déjà plus d’une semaine que le tireur d’élite Jürgen Conings a disparu des radars. Les forces de sécurité le recherchent depuis lors sans relâche, et non sans inquiétude. Le sous-officier figure en effet sur la liste des soldats jugés extrémistes de la sûreté militaire. L’Office central d’analyse de la menace (OCAM) le présente comme “d’extrême droite potentiellement dangereux”.

Lourdement armé, ce sympathisant de l’ultra-droite a notamment formulé des menaces contre des élus politiques et des virologues. En province du Limbourg où il est domicilié, l’Union des mosquées du Limbourg appelle les lieux de culte musulmans à la vigilance. Plusieurs mosquées ont même fermé temporairement leurs portes par précaution.

Plusieurs pages de soutien à cet extrémiste ont rapidement fait leur apparition sur la toile. Avec même un certain succès pour l’une d’entre elles, environ 50.000 likes, avant que Facebook réagisse et supprime cette dernière. Mais au fait où en est l’état de l’extrême droite politique et associative dans la capitale en ce premier semestre 2021?

Trois caractéristiques majeures

Encore faut-il savoir de quoi on parle et donc définir avec précision le concept d’extrême droite. Pour Benjamin Biard, docteur en sciences politiques à l’UCLouvain et spécialiste de l’extrême droite, trois éléments définissent ensemble le concept. “Le premier, c’est une vision du monde inégalitaire par nature. L’extrême droite postule que, dans la société, il existe des races, des ethnies différentes. Et il n’est pas possible de supprimer ces différences entre elles parce que ce sont des différences de nature, je dirais”.

Le deuxième élément, c’est une vision du monde tel qu’il devrait être et qui est une vision nationaliste. “Pas nécessairement, quoi que cela puisse l’être, un nationalisme autonomiste ou régionaliste comme c’est le cas pour le Vlaams Belang et cela l’a été pour la Ligue du Nord en Italie, mais c’est un nationalisme selon lequel on vise à atteindre une homogénéité ethnique ou raciale, selon leurs termes, au sein d’un territoire”.

Et enfin, arrive la question des moyens. C’est-à-dire ceux qui permettent de passer de ce monde tel qu’il est présenté vers ce monde tel qu’il devrait devenir. “Ce sont des moyens qui peuvent être particulièrement radicaux, non démocratiques ou anti-constitutionnels. Et dans une certaine mesure, parfois en recourant à la violence, qu’elle soit physique ou symbolique comme quand Filip Dewinter, à la Chambre des représentants, brandit un Coran et le présente comme la source de tous les maux. Ou encore quand celui-ci organise à Molenbeek ce qu’il avait appelé un safari”.

Le vide absolu au niveau associatif

Commençons d’abord avec le militantisme. Le constat s’avère relativement positif pour Bruxelles. Contrairement au nord et au sud du pays, la capitale est la région belge avec l’extrême droite la plus faible au niveau militant, explique Manuel Abramowicz, coordinateur du journal en ligne RésistanceS.be, l’observatoire belge de l’extrême droite.

“On peut même parler de quasi totale absence au niveau des activités sur le terrain, des militants et des groupes d’action. Ils ont des militants, mais ceux-ci ne sont plus capables de se rassembler sur le plan régional, car ils sont trop peu nombreux. A Bruxelles, depuis 5 à 10 ans, l’extrême droite structurelle, ayant pignon sur rue a quasiment disparu de la circulation”, constate Manuel Abramowicz.

Vlaams Belang et réseaux sociaux

Les derniers militants bruxellois encore un peu actifs sont les Francophones du Vlaams Belang (VB), explique le spécialiste de l’extrême droite. L’idylle entre le parti flamand et l’extrême droite francophone bruxelloise n’est pas récente.  “Celui-ci avait décidé d’investir vraiment Bruxelles à l’époque où il s’appelait encore Vlaams blok. Il a été rejoint en 1999 par des militants francophones déçus de l’incapacité de l’extrême droite francophone à se structurer”.

Ils vont donc rejoindre le parti et les réunions se feront même en français. “Le VB, c’est le premier parti flamand qui va massifier sa propagande en français”, souligne Manuel Abramowicz. L’absence d’organisation structurée digne de ce nom à Bruxelles ne signifie évidemment toutefois pas celle de militants ou de sympathisants, rappelle Benjamin Biard. “Il est tout à fait possible que des membres de l’organisation flamande Schild & Vrienden habitent à Bruxelles. Ou encore que des Bruxellois likent des pages Internet faisant la promotion des idées d’extrême droite”

Un seul député, zéro élus communaux

Au niveau politique, le constat est relativement réjouissant. Le Vlaams Belang constitue le seul parti classé à l’extrême droite et représenté au sein d’une assemblée de mandataires. Et leur nombre d’élus n’est pas très élevé. Le parti ne dispose que d’un seul député au Parlement bruxellois en la personne de Dominiek Lootens-Stael. Aux élections régionales de 2019, le VB a certes obtenu davantage de voix qu’en 2014 (5.838 voix, contre 2.987). Il en obtenait toutefois encore quasi le double cinq ans plus tôt (et trois députés).

Au niveau communal, c’est même le néant absolu. Aucun élu d’extrême droite n’a été élu sur l’ensemble de la Région. Il ne faut toutefois pas en déduire que cette mouvance a totalement disparu, ni qu’elle n’a aucune chance de faire élire des mandataires. Le VB n’est pas passé si loin que ça d’un mandat au scrutin local de 2018. A Jette, le parti a par exemple obtenu 724 voix, contre 1.051 pour la N-VA qui a grappillé 1 siège. Anderlecht constitue un autre cas d’école. La N-VA a obtenu un siège avec 2.000 voix. Or, le VB (1.006), La Droite (631) et Nation (428) dépassent ensemble ce chiffre.

Un des défis majeurs pour l’extrême droite politique reste encore et toujours son morcellement. Sur le plan électoral, l’extrême droite reste en tout cas encore forte dans les communes du nord de Bruxelles, explique Manuel Abramowicz. “Je pense surtout à Molenbeek, Jette et Bruxelles-ville du côté de Laeken, Anderlecht et Berchem-Sainte-Agathe. C’est généralement le Vlaams Belang qui ramasse la mise. Les partis d’extrême droite francophones ne sont plus représentés ou alors de manière tout à fait  localisée”.

Marine Le Pen a d’ailleurs donné un coup de pouce au Vlaams Belang, rappelle-t-il d’ailleurs. “Il y a eu un deal pour qu’elle les aide à torpiller le Front national. Ils font partie du même groupe politique au niveau européen”.

Deux personnalités sulfureuses du FDF

Le Front national et le Vlaams Belang mis à part, il faut remonter aux années 80 pour se souvenir d’élus politiques au pouvoir et avec un discours particulièrement radical et violent. Deux personnalités issues du FDF, le député-bourgmestre de Schaerbeek Roger Nols et le premier échevin de Forest Henri Lismonde, avaient, à l’époque défrayé, la chronique. Le premier avait adopté des positions et des attitudes de plus en plus racistes sans pour autant se faire exclure du parti. Il avait fini par lui même claqué la porte en 1983.

Trois années plus tard, il arriva à dos de chameau à l’hôtel communal dans une mise en scène diffusée à la télévision. Le second avait publié un tract intitulé “Lettre ouverte à la canaille”. Dans le document, il s’en prenait aux “malfaisants venus d’ailleurs”. Il est condamné en 1983 en vertu de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie, en l’occurrence pour propos antisémites.

Qu’en est-il des autres partis à la droite de la droite?

Différents partis ont parfois été accusés ces dernières années d’être d’extrême droite. La réalité est souvent plus nuancée, explique Benjamin Biard. “Il y a certains partis pour lesquels c’est assez clair, d’autres pour lesquels il est clair qu’ils n’en sont pas, et d’autres où on se situe un peu dans une zone grise. Je citais par exemple le Parti populaire pour lequel il n’y a pas nécessairement d’accord entre scientifiques pour le catégoriser d’extrême-droite. Il ne l’était pas lorsqu’il a été créé, beaucoup disent qu’il l’était lorsqu’il s’est éteint”.

Pour le politologue du Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp), la N-VA et les Listes Destexhe ne peuvent pas être catalogués d’extrême droite. Pour rappel, peu avant les élections régionales de 2019, Alain Destexhe avait quitté, le MR pour créer son propre parti. La formation a fait long feu, ne parvenant à faire élire personne au scrutin.

Une poignée d’élus de Défi et MR avaient alors notamment rejoint la nouvelle formation. Notons que la Liste Destexhe avait conclu, lors des élections de 2019, un regroupement avec le Parti Populaire (PP) afin de maximiser les chances d’obtenir un élu pour les deux formations. “Il s’agit d’un accord purement technique n’impliquant aucun rapprochement (et même aucune négociation) politique”, indiquait, à l’époque Claude Moniquet, tête de liste des Listes Destexhe. 

Pour Manuel Abramowicz, une partie de la N-VA, incarnée par Theo Francken, tient toutefois un discours d’extrême-droite. De même que le coordinateur de RésistanceS.be ne voit pas beaucoup de différences entre le discours d’Alain Destexhe et ceux parfois tenus au sein de la formation française du Rassemblement national.

Relais de l’extrême droite française

Le Cercle Pol Vandromme? Le nom ne dit pas grand-chose au grand public. Difficile toutefois de ne pas en toucher un mot au moment de faire le point sur l’extrême droite à Bruxelles. Il s’agit en fait d’une destination de choix pour les vedettes de la droite extrême française. Patron de presse exilé à Bruxelles, Alain Lefebvre l’utilise comme tribune pour la droite radicale hexagonale en Belgique.

Patrick Buisson, l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, le maire de Béziers Robert Ménard ou encore Eric Zemmour ont fait partie de la liste des conférenciers de ces dernières années. Tous les invités ne sont pas nécessairement d’extrême droite, mais tiennent en tout cas un discours dit de droite dure. Au niveau belge, Theo Francken et Alain Destexhe ont été invités à s’exprimer ces dernières années.

Loups Gris

L’extrême droite peut aussi prendre à Bruxelles des visages moins attendus. Il s’agit de groupes comme ceux des Loups Gris. L’organisation d’extrême droite turque possède des sympathisants dans la capitale. Tous partis démocratiques francophones confondus, certains élus locaux ont déjà brillé ces dernières années par leur manque de distance par rapport à cette organisation ou par rapport au MHP, le parti nationaliste et d’extrême-droite au pouvoir en Turquie.

Une rencontre avec deux bourgmestres turcs du MHPM a même coûté au bourgmestre tennoodois Emir Kir sa place au PS. Manuel Abramowicz considère aussi que certains points de vue des Frères musulmans sont proches de ceux de l’extrême droite. “C’est une organisation ultra conservatrice qui n’est pas d’extrême droite, mais dont certaines idées s’en rapprochent. Des élus proches de leur idéologie sont membres de différents partis francophones”.

Julien Thomas -Photo: Belga