Comment prendre en compte la santé mentale des Belges dans la lutte contre la covid-19
Après le dernier comité de concertation, il a été demandé que la santé mentale des Belges fasse partie des indicateurs à prendre en considération lors des décisions concernant la lutte contre la covid-19. Seulement, il est très difficile d’objectiver la perception d’une population qui se sent mal. Comme les facteurs sont multiples, les conséquences et les réponses le sont aussi.
“Nous devons arrêter de râler” a commenté l’épidémiologiste Erika Vliege dimanche sur le plateau de la VRT. “Si on se plaint, si on a encore la force de se plaindre, c’est qu’on a encore des envies et qu’on veut se battre pour aller mieux”, rétorque le professeur Gérald Deschietere, médecin chef du service des urgences psychiatriques de Saint-Luc. Alors où en est réellement notre santé mentale?
En temps normal, Sciensano mène des enquêtes sur le bien-être. Lors de son dernier grand rapport en 2018, on pouvait lire que 2 Belges sur 3 manifestaient un bien-être psychologique. 12% seulement était très peu satisfaits de leur vie. Les principales causes du mal-être étaient le stress (29%), le manque de sommeil (23%) et 20% se sentaient malheureux ou déprimés.
En 2018, 9% souffraient d’une dépression, 7% d’un trouble alimentaire et 11% d’un trouble anxieux sévère. Les femmes, les personnes précarisées et les jeunes étaient les personnes le plus en souffrance.
Depuis le début de la pandémie, Sciensano a mené plusieurs études concernant la santé des Belges. Au fil du temps, la santé mentale n’a fait que se détériorer. Les citoyens ont de plus en plus de mal à respecter les règles, surtout celles limitant les contacts sociaux. Les troubles anxieux sont en augmentation de 18% selon la quatrième étude menée entre le 24 septembre et le 2 octobre 2020, soit une période de déconfinement. Les troubles dépressifs sont alors de l’ordre de 15% et 30% de la population dit avoir du mal avec le manque de contacts sociaux. En décembre 2020, parmi les 18 ans et plus, 64% ne sont plus satisfaits de leurs contacts sociaux.
Une stabilisation des hospitalisations
Grâce à cette étude, on peut voir que les troubles et le mal-être augmentent, mais on ne dit rien de la prise en charge. Qu’en est-il sur le terrain? Disposons-nous de statistiques des hospitalisations pour des troubles mentaux comme nous les avons pour la covid-19? La réponse est non.
Par contre, tous les hôpitaux bruxellois sont assez d’accord. Pour le moment, le nombre d’hospitalisation pour des soins psychiatriques n’augmente pas mais comme souvent dans la capitale, la capacité maximale est atteinte. “Au niveau des urgences, nous sommes dans la moyenne par rapport à un mois de février classique, explique le professeur Gérlad Deschietere. Il est toujours complexe de trouver une place mais nous constatons une hausse des demandes pour des suivis psychologiques ou psychiatriques. Cela était surtout vrai en mai/juin et en octobre/novembre, période où on avait décidé de reconfiner. Nous avons aussi une population plus jeune qu’en temps normal.”
A la clinique La Ramée, les propos font échos. “Les choses se passent bien mais nous sommes complets et notre liste d’attente s’allonge, précise Eric Debersaques, directeur de la Ramée. Depuis quelques mois, notre activité est plus soutenue et mes collègues me rapportent qu’ils ont plus de consultations également. Il est difficile d’objectiver la santé mentale en se basant uniquement sur les hospitalisations. Nous ne sommes que la partie émergée de l’iceberg. Nous entendons bien que tout le monde en a assez. L’épuisement se ressent chez nos patients mais aussi notre personnel. Heureusement, ce jeudi, nous pourrons avoir notre première dose de vaccin et 85% du personnel souhaitent se faire vacciner. Cela va nous retirer une certaine pression.”
Du côté des hôpitaux Iris, c’est différent. A cause du report des soins, les unités psychiatriques ont enregistré une diminution du nombre d’admissions en 2020 par rapport en 2019 (-14%). Cette baisse est cependant moindre que pour les autres unités (-21%). Et pour le mois de janvier 2021, la diminution se poursuit avec -16%.
D’autres critères
Quels autres indicateurs regarder alors? “La santé mentale recouvre énormément de paramètres, ajoute le professeur Gérald Deschietere. On ne peut pas avoir un discours tranché et objectiver facilement une réalité complexe. Les personnes en souffrance de manière générale sont celles qui n’ont plus d’espoir, qui vivent dans des conditions difficiles, n’ont pas de travail, des problèmes d’argent, un manque de lien social. Dans certains cas, le confinement a exacerbé ces situations difficiles. Et ce sont souvent les généralistes ou certains services sociaux comme les CPAS qui reçoivent les plaintes, les fatigues de la population. Il faudrait donc investir du côté de la prévention et de l’accès à des soins.”
Ce discours, c’est aussi celui que tient le Conseil supérieur de la santé dans son dernier rapport dans lequel il demande de prendre en considération la santé mentale et de revaloriser la profession.
►La santé mentale des Belges doit être au centre de la gestion de la crise
Si on regarde le nombre de suicides, on enregistre au Parquet de Bruxelles une augmentation du nombre de dossiers ouverts de 16,7%. Quelque 126 dossiers ont été portés au Parquet en 2020. Du côté du centre de prévention du suicide, on a constaté une hausse de près de 50% du nombre d’appels pour des crises suicidaires. Dans 10% des appels du mois d’octobre, le covid est mentionné clairement mais ces chiffres sont certainement en deçà de la réalité. Le centre ajoute connaître une progression de 29% des appels pour l’accompagnement de deuils après suicide. Selon les spécialistes, ces données sont très certainement inférieures aux nombres réels de suicides.
Un plan pour la santé mentale
Bruxelles est plus touchée par les problèmes de santé mentale car la population est plus fragile que dans le reste du pays. Le nombre de personnes isolées est plus important tout comme le nombre de logements insalubres, le taux de chômage, de personnes en situation de grande précarité. Plus de la moitié des personnes ayant un diplôme maximum de l’enseignement primaire souffrent de troubles mentaux.
Pour appuyer la demande de la vice-première ministre Sophie Willmès, plusieurs députés MR ont déposé des textes dans leur parlement afin d’obtenir un plan national pour la santé mentale tout en prenant en considération les particularités régionales. A Bruxelles, c’est David Weytsman qui porte ce dossier.
Voici quelques jours, il a déposé une proposition de résolution dans laquelle il demande l’élaboration d’une stratégie bruxelloise pour la santé mentale sur le long terme, d’examiner les répercussions psychiques lors de la prise de décisions dans le cadre de la lutte contre la covid-19, une meilleure communication afin de renvoyer les personnes vers les bons interlocuteurs mais aussi une aide pour les généralistes qui se sentent parfois démunis devant des patients en détresse.
Les libéraux demandent de trouver des indicateurs fiables afin de mieux mesurer l’impact de la crise sur la santé mentale des jeunes en particulier. “Les réponses seront multiples, conclut Gérald Deschietere des cliniques Saint-Luc. Si vous avez un travail, un logement décent avec un balcon, tout ira mieux.” Et sans médicament.
Vanessa Lhuillier – Photo: Belga