Christos Doulkeridis : “C’est la responsabilité du bourgmestre d’organiser l’urgence”

Pour son premier mandat en tant que bourgmestre, Christos Doulkeridis (Ecolo) a eu droit à toutes les situations les plus complexes. La physionomie d’Ixelles avec une population très diversifiée et des lieux d’attraction régionaux rendent la gestion de la crise complexe. Avec des moments où le bourgmestre n’hésite pas à monter en première ligne.

Nous sommes en janvier 2020 et le coronavirus prend de l’ampleur en Chine. Quel est votre état d’esprit?

Je suis de nature à plutôt considérer tous les scénarios. Mon cerveau envisage le pire mais ne s’affole pas. Je me dis que nous devons être attentifs tout en faisant confiance aux autorités. En Europe, on minimise le problème. Un ami me dit que, selon une connaissance qui vit en Chine, la situation là-bas est beaucoup plus grave que ne le disent les autorités chinoises. Pour moi, la prise de conscience réelle se fait au retour des vacances de carnaval. On nous interdit presque de faire des quarantaines. Je me demande alors si on prend les bonnes mesures. Dans le débat public d’alors, il y a les Italiens et les autres.

Vous prenez déjà des mesures?

A ce moment-là, je tire la sonnette d’alarme pour savoir si on a des masques. On me rigole un peu au nez mais, très vite, on reconnait le problème. Je mets en place une taskforce. Je demande aux équipes communales d’aller acheter des tissus au bout de la Porte de Namur car je sais que dans les hôpitaux il y a pénurie de matériel de protection. On doit lancer la production de masques en tissu pour la population en prévision du jour où on devra le porter. En même temps, je lance un numéro vert et nous constituons des équipes pour répondre aux questions des gens. Nous, on est toujours là, même quand tout est fermé.

 

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Comment prenez-vous les décisions au début du premier confinement?

J’ai tout décidé presque tout seul. C’est plus pratique quand il faut aller vite. C’est la responsabilité du bourgmestre d’organiser l’urgence. Personnellement, je suis plutôt un capitaine. C’est ma personnalité. Mais j’avoue que, quand je rentre chez moi, quand tout est mort dans la ville, je regarde le JT… et, plusieurs soirs, j’ai pleuré en me demandant si on prenait les bonnes décisions. C’est beaucoup de stress sur le long terme. Je n’ai aucune soupape pour décompresser. Un capitaine de bateau ne peut pas craquer, et surtout pas devant mon fils.

Les maisons de repos sont particulièrement touchées durant la première vague. Avez-vous l’impression qu’elles ont été abandonnées?

Les maisons de repos ne dépendent pas directement de nous, à l’exception de celle du CPAS. Je n’ai donc pas toutes les informations. Cependant, nous avons envoyé du personnel de la commune pour les soutenir. Quand on a une crise à un endroit où cela ne fonctionne déjà pas en temps normal, c’est terrible. S’il faut envoyer l’armée pour que cela fonctionne, on le fait. Il faut trouver des solutions. C’est tout.

Lors du premier déconfinement, vous pensez que le pire est derrière nous?

Le déconfinement est plus difficile à gérer que le confinement, surtout le premier où il y avait une grande solidarité. Les gens acceptaient. Mais ensuite, il fallait créer des espaces de rencontres comme autour des étangs d’Ixelles. Dès qu’on commence à ouvrir, on doit s’attendre à des controverses. On n’a pas d’information claire sur une porte de sortie, pas de perspective pour les vaccins. On est content que l’été soit là et que les chiffres diminuent fortement. Puis cela remonte. Je suis en contact avec les hôpitaux publics en tant qu’administrateur. Je ne comprends pas les décisions du dernier Conseil national de sécurité. C’est catastrophique. Le fédéral est à contre-courant. On fait plaisir mais on est en décalage par rapport à la réalité. On indique à la population qu’on peut relâcher alors qu’on doit être prudent. Compliqué à rattraper après mais on l’a fait.

Pendant le déconfinement, vous devez aussi gérer plusieurs événements dont l’après manifestation de black lives matter.

La société continue à exister malgré le covid avec tous ces problèmes dont celui du racisme. La position de Philippe Close à la tête de la Ville de Bruxelles n’est pas simple : le ministre de l’Intérieur interdit les manifestations mais tout le monde sait qu’il va y avoir quelque chose. Alors mieux vaut l’encadrer. Normalement, cela ne déborde pas sur Ixelles. Je suis à la place Fernand Cocq en train de manger une glace avec mon fils. Je vois plein de gens qui profitent de leur dimanche et au bout de la rue, il y a des policiers prêts à charger et des jeunes un peu excités. Je pars à vélo et je me mets devant. La police n’avait pas vu que j’étais là. Je demande aux gens de se calmer. Il y a une partie de la foule qui entend et une autre qui est là pour casser. Un homme me bouscule et casse quelque chose devant moi. Je fonctionne avec l’adrénaline. Je peux avoir peur d’une souris mais là, je n’ai pas peur. J’ai peut-être une confiance déraisonnable dans le dialogue. Je suis bousculé par deux hommes et je vois un troisième qui s’approche. Je me dis que je vais m’en prendre une mais je ne dois pas montrer que j’ai peur. Finalement, le troisième me défend car il m’a reconnu. Il chasse les deux autres. Au final, on a vu que ce n’était pas la police qui était agressive mais les gens. Pour moi ensuite, le plus important, c’est de tout nettoyer le soir-même pour que le lendemain, la place publique soit propre.

Vous avez également parlementé avec les citoyens réunis place Sainte-Croix lors de la réouverture de l’horeca, quelques jours seulement après la deuxième édition de la Boum.

Je sais très bien ce que je fais place Sainte-Croix. Je me retourne devant les policiers et j’en vois certains qui auraient voulu être plus actifs et envoyer les troupes. Je discute avec les responsables et je leur demande si, selon eux, cela mérite une intervention musclée. Est-ce que cela a du sens de charger sur la foule et d’avoir des images d’une jeunesse qui se fait évacuer manu militari par la police ? Je me mouille, je propose une solution mais, à un moment, il faut faire évacuer. On a ciblé le sol avec les autopompes. Personne n’a été blessé par la police. La société a une nouvelle relation avec l’espace public. Les gens veulent l’occuper et cela crée des tensions, devant les étangs notamment.

Est-ce que vous pensez que cette crise a changé la relation entre le citoyen et la commune?

Je pense qu’on a une reconnaissance du rôle du bourgmestre qui est un personnage au-dessus de la mêlée. On prend des mesures pour le bien-être global. Ce n’est pas le mandat le plus politique.

Avez-vous trouvé la coordination des communes efficaces?

J’ai apprécié la solidarité entre les bourgmestres. Nous avons compris rapidement qu’il fallait qu’on décide la même chose, tous. Ce sont les bourgmestres qui ont donné l’impulsion. On a eu un ou deux incidents au début, mais très naturellement, ça s’est calmé. Et le ministre-président Rudi Vervoort était le seul à nous représenter aux réunions du Codeco.

Aujourd’hui, vous êtes dans quel état d’esprit?

On ne peut pas recommencer la gestion d’une quatrième vague de la même manière. On ne peut pas mettre entre parenthèses des choses aussi essentielles pendant une durée déraisonnable. On ne peut pas rendre structurel des couvre-feux ou des confinements. On doit trouver un équilibre de la gestion du danger. Rendre obligatoire le vaccin est peut-être une meilleure solution que de confiner tout le monde. La gestion de la quarantaine est une autre manière de contrôler le virus. Je sais que plus personne n’a envie d’entendre parler du coronavirus mais le danger aujourd’hui, ce n’est pas le variant Delta mais l’Epsilon. Il y a 24 lettres dans l’alphabet grec.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour vous?

On ne pense pas qu’on va un jour appeler son chef de la population pour savoir si on a assez de places dans les morgues. Quand j’ai eu le sentiment que ça nous échappait totalement, c’était aussi dur. Avec le personnel communal, nous avons été loyaux, nous avons travaillé dans des conditions difficiles. Mais le plus dur, c’est maintenant où tout le monde a envie d’oublier alors qu’on doit rester prudent. Je pense aussi aux policiers qui ont eu un rôle ingrat. Je pense aux familles qui n’ont pas pu assister aux funérailles de leurs proches, à ceux qui ont vu des membres de leur famille partir sans même être près d’eux parce qu’on ne pouvait pas voyager, aux gens qui n’ont pas pu se marier en compagnie de leur famille.

Qu’est-ce qui vous a surpris?

La grande solidarité globale. Cela m’a donné une émotion terrible de voir mon administration se retrousser les manches, aller voir les sans-abris, les plus de 65 ans, répondre via notre numéro d’urgence aux appels de la population qui a peur, nettoyer l’espace public malgré tout. On a aussi envoyé du matériel aux familles pour que les enfants puissent suivre les cours à distance.

Qu’est-ce qui vous a choqué?

Le manque de considération de la santé mentale parfois. Au deuxième confinement, les problèmes étaient plus importants. Et puis, il y a eu quelques petits jeux politiciens. Quand le fédéral nous dit qu’il faut verbaliser pour le port du masque, que les policiers le font via les sanctions administratives communales et que finalement, le ministre de l’Intérieur veut que cela soit des PV fédéraux parce que les SAC ne rentrent pas dans les poches du fédéral mais des communes, cela me choque. On fait de la procédure ridicule.

Qu’est-ce qui vous a le plus manqué?

De ne pas pouvoir prendre dans mes bras mes filles qui ne vivent plus sous le même toit que moi. Ne pas pouvoir voir mes parents qui étaient seuls à l’étranger et de savoir qu’ils ne sont pas bien sans aucune possibilité d’y aller. J’étais heureux que les frontières rouvrent.

Qu’est-ce qui a changé chez vous?

J’ai apprécié le côté apolitique de la question de la crise. Nous avons géré le pays, protégé la population. C’était intéressant que cela prenne plus de place. Je me dis que les petits jeux sont superflus.

Vanessa Lhuillier