Catherine Moureaux : “Je suis fière de ce que nous avons fait à Molenbeek”

A la tête de Molenbeek, Catherine Moureaux (PS) était certainement la bourgmestre la mieux armée pour affronter cette crise. Médecin de formation, elle s’est penchée sur la question de la covid dès le départ.

Nous sommes en janvier 2020 et un nouveau coronavirus se répand en Chine. Quel est votre d’état d’esprit?

Quand c’est en Chine, je ne m’en préoccupe pas encore trop. Mais quand cela arrive en Italie, c’est perturbant. Je ne parle pas l’italien. Je tente de comprendre la situation car j’ai une classe qui doit partir dans ce pays juste après les vacances de Carnaval. Je tombe alors sur la première étude chinoise en anglais et je comprends toute de suite que c’est très sérieux. Je décide alors d’annuler ce voyage. Je l’ai annoncé aux parents qui étaient très déçus. Je pense que j’étais la première à prendre une telle décision, comme Olivier Maingain. Et puis je lis les études internationales. Quand Maggie De Block parle de “grippette”, je pense qu’elle commet une erreur. Nous ne savions pas que cela serait une pandémie mais nous pouvions déjà dire que cela allait être très sérieux. Il fallait être prudent.

Quand le premier confinement arrive, vous n’êtes pas surprise?

Le confinement était évident. Il y a plein de choses qu’on aurait pu mieux faire mais c’était ce qu’il fallait faire par rapport à nos connaissances à ce moment. Je me souviens avoir fait un briefing aux gardiens de la paix pour leur dire qu’on allait avoir besoin d’eux et qu’ils allaient devoir informer la population. C’était dur. Je voyais leur tête et ils avaient peur. Et j’étais mieux armée parce que j’étais médecin. J’avais plein d’idées sur ce qu’il fallait faire ou non. Nous avons conçu un format vidéo où après chaque Conseil national de sécurité, j’expliquais les décisions. Cela a été très apprécié. Nous avons également mis en place la plateforme citoyenne sur laquelle les habitants pouvaient poser toutes leurs questions. Je débriefais tous les matins. Les gens demandaient par exemple s’ils pouvaient pendre leur linge dehors ou s’ils pouvaient ouvrir la fenêtre. Et puis, très rapidement, je me suis dit que cette crise allait être clivante, avec ceux qui avaient peur et ceux qui n’y croyaient pas. Cela continue encore maintenant. Nous aurions besoin d’être tous ensemble mais nous ne le sommes pas. Le politique et les médias ont fait des erreurs. C’est une leçon douloureuse. Cela a augmenté le populisme, la défiance vis-à-vis de l’Etat.

Comment vivez-vous ce premier confinement?

Je n’ai pas mes enfants avec moi. C’est perturbant mais je dois travailler au service de la collectivité. Le télétravail est impossible dans mon cas. Il y a trop de leadership à prendre. C’était dur mais j’avais l’impression d’être à ma place. Les gens ont été très volontaires aussi. Nous avons fait des choses extraordinaires. Nous avons fabriqué 10.000 masques à Molenbeek. Quelque 450 bénévoles se sont manifestés en une semaine pour aider et, avec les associations, nous avons pu encadrer cet élan. Tous les seniors ont eu leurs masques. Nous avons fait les courses pour ceux qui ne pouvaient pas sortir de chez eux. Nous avions un protocole sanitaire parfait que j’avais créé. J’ai été à l’imprimerie communale qui sortaient des toutes-boîtes: les employés étaient terrifiés. Ils nous demandaient s’ils pouvaient toucher les boîtes aux lettres. Ils voulaient des gants. C’était ça les premiers mois. J’ai été les soutenir, les rassurer.

On vous sent fière.

Oh oui! Je suis fière de ça, oui!

Les maisons de repos sont également particulièrement touchées. Pensez-vous qu’elles ont été abandonnées?

Nous ne les avons pas abandonnées. J’avais un monitoring classique et un pour les maisons de repos. Nous leur proposions notre aide. J’ai été attaquée quand j’ai confiné les résidents dans les chambres avant les autres. C’était la décision la plus difficile que j’ai prise.

Aviez-vous peur?

Je n’ai pas eu peur. C’était par contre très frustrant que les autres ne m’écoutent pas. Pour les maisons de repos, j’ai pris la décision toute seule. J’ai été proche du terrain. Nous avons pu faire des choses mais j’aurais voulu qu’on puisse donner un masque réutilisable et stérilisable à nos soignants de première ligne. On n’a pas été capable de le faire. On avait le prototype mais les médecins n’étaient pas convaincus. Ils trouvaient cela compliqué. C’est un petit regret.

Lorsqu’on déconfine en juin de l’an dernier, quelles sont vos pensées?

Je me dis que ce n’est pas fini. Nous créons le premier centre de testing communal et les gens rigolent, pensent que je fais n’importe quoi, que je dois mettre l’argent communal ailleurs. Moi, je suis alors persuadée qu’il faut le faire. Au début, c’était calme. Je pars en vacances et les contaminations commencent à monter. Anvers prend des mesures et je cherche un autre lieu pour le centre car je pense qu’il va être trop petit. Au même moment, je remue ciel et terre pour avoir de l’information sur ceux qui rentrent de vacances. On n’est pas armé pour ça. On n’a aucune information au niveau communal. Or je veux savoir qui revient d’où et comment on va contrôler les quarantaines. On ne trouve pas de solution et, finalement, je demande que les agents communaux sensibilisent les personnes de retour pour qu’elles se fassent tester. On me prend pour une folle et je n’ai pas trouvé d’aide pour ce chantier. Je pressens que cela sera un problème. A la rentrée, très vite en voyant les chiffres, je comprends qu’on va reconfiner. Mi-septembre, au collège des bourgmestre et échevins, je dis qu’il faut d’autres mesures : on réduit le nombre de personnes aux mariages, on met à disposition une salle pour les condoléances en dehors des maisons. Je vais au Conseil régional de sécurité pour plaider en faveur de mesures strictes… Et Sophie Wilmès décide de rouvrir. Je regrette de ne pas avoir été entendue à ce moment-là. Je dis à mes équipes qu’on va avoir beaucoup de morts et ça sera l’électrochoc. Pendant 10 jours, il y a au moins une personne que je connais qui décède.

Trouvez-vous que le terrain a été assez écouté?

J’étais affolée par les discussions sur Noël. Je suis tellement contente qu’on ait pu être intelligent finalement. Je voyais l’écart entre les décideurs et la réalité. Il y a surtout eu des erreurs de pédagogie. Nous avons perdu l’occasion d’expliquer mieux la science à la population. Les politiques, les experts et les médias n’ont pas été capables d’expliquer alors qu’on en avait le pouvoir. Nous avons fait un bon dans certains domaines comme sur le lavage des mains mais sur la transmission aérienne, pour moi, les choses ne sont pas encore acquises. Les choses ne sont pas claires sur ce qu’est un virus ou un vaccin, ce qui permet de laisser la place aux complotistes. Sur la crise des masques, nous sommes dans un échec face au capitalisme. Les gens ont bien compris qu’on nous disait de ne pas en porter parce qu’on n’en avait pas. Ils transforment cela en “tout n’est qu’argent” et cette pensée renforce les populismes, les complotistes et les antivax. Le gouvernement a caché le fait que nous ne pouvions pas fabriquer de masque. Comment peut-on ensuite créer la confiance envers la population? Nous avons créé le lit d’une forme de défiance. C’est un événement fondateur pour moi. C’est grave.

Pensez-vous que cela aura des répercussions sur les prochaines élections?

Je ne sais pas si cela aura des conséquences sur les prochaines élections. Je ne peux pas être affirmative. On peut encore faire beaucoup d’erreurs. Si on continue, cela sera partout une déferlante populiste. Nous avons eu des moments de solidarité, de cohésion, de compréhension. Il ne faut pas les négliger. On a l’habitude de tendre le micro vers les minorités agressives, mais derrière, il y a aussi la majorité silencieuse. Cela va dépendre d’elle.

La coordination entre les bourgmestres bruxellois a-t-elle été à la hauteur?

La coordination a été efficace. Nous avons beaucoup discuté. Je me souviens de certains moments épiques quand même mais la coordination a bien fonctionné et avec Rudi Vervoort aussi.

Quel est votre état d’esprit aujourd’hui?

Je suis fière d’avoir pu traverser ces trois premières vagues avec de tels chiffres de décès et de contaminations vu nos caractéristiques spéciales et socio-économiques. Cela aurait pu être pire. Je regrette chacun des morts évidemment mais Molenbeek avait toutes les caractéristiques pour être en tête des classements de contamination et c’est parce qu’on s’est battu qu’on a réussi. Pour le futur, je pense que l’économie va s’en remettre. Ce qui m’inquiète, ce sont les mouvements antivax et les variants.

Vous parlez de trois premières vague, vous croyez qu’il y en aura une quatrième?

Ce n’est pas fini et cela me semble plausible. La rentrée m’inquiète. Avec les vacances, les gens vont partir, on aura moins de concentration urbaine. Heureusement, nous sommes mieux armés que l’an dernier puisque nous recevons des listes de noms pour le contrôle de la quarantaine. Nous contrôlons par téléphone ou sur place des échantillons de personnes. Je garde un œil sur les chiffres, c’est une préoccupation nouvelle.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris?

La volonté des jeunes de se mobiliser pour aider les autres dès la première vague. Je sais qu’ils ont beaucoup d’énergie. Ils ont été au rendez-vous pour faire les courses. C’était magistral. On a distribué des dizaines de milliers de repas et cela continue.

Qu’est-ce qui vous a choqué?

Enormément d’éléments. Les morts d’abord. La situation des enfants aussi. Certains ne parlaient plus bien français, d’autres avaient été battus à la maison, d’autres encore ne savaient plus jouer ni rester en classe. Nous avons travaillé avec des associations pour rétablir le lien avec l’école. La création de cahiers d’été a permis aussi de donner un support aux parents. Et nous avons organisé des classes d’été, une semaine ou deux avant la rentrée, pour raccrocher les écoliers. Quelque 160 élèves ont participé.  Nous avons donné un lien pédagogique et je pense qu’on a fait du bien à ces familles. On va refaire cela cet été et 360 enfants sont attendus.

Qu’est-ce qui vous a le plus manqué?

Mes amis, boire un verre avec eux tout simplement. Les voir, les serrer dans mes bras.

Qu’est-ce que cela a changé en vous?

C’est trop tôt pour le dire. Je suis fière de ce que j’ai accompli et je suis fière aussi de mes équipes. Des personnes ont émergé et on va pouvoir continuer à travailler, donner un sens à ce que nous faisons.

Vanessa Lhuillier

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14 juillet 2021 - 17h00
Modifié le 26 juillet 2021 - 13h02