Hausse alarmante de la tuberculose à Bruxelles, taux d’incidence 100 fois supérieur au seuil fixé par l’OMS
Alors que la tuberculose semblait sous contrôle en Belgique, plusieurs organisations du réseau socio-sanitaire bruxellois alertent sur une recrudescence préoccupante de la maladie dans la capitale. Des taux d’incidence alarmants ont été relevés, en particulier dans les centres d’hébergement pour mineurs non accompagnés. En cause, selon les acteurs de terrain : les conditions de vie indignes liées à la politique de non-accueil et de précarisation croissante des personnes en demande de protection internationale.
Plusieurs acteurs, comme le Hub Humanitaire ou Médecins du Monde, tirent la sonnette d’alarme : les cas de tuberculose se multiplient dans la capitale. Sans parler d’épidémie, les professionnels de terrain constatent une augmentation des cas et des foyers de contamination suffisamment marquée pour alerter les autorités politiques, comme l’explique Maud D’Huyvetter, cheffe de projet santé pour le Hub Humanitaire et Médecins du Monde.
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Le Hub Humanitaire a, depuis juin-juillet, orienté un nombre croissant de personnes vers des services spécialisés, souvent à travers des dépistages dits passifs : “Quand les personnes ont déjà des symptômes et qu’on les renvoie vers des acteurs spécialisés”, précise la cheffe de projet.
D’autres structures, comme Médecins Sans Frontières, ont mené des campagnes de dépistage actif, c’est-à-dire auprès de personnes asymptomatiques. Et les résultats sont préoccupants. “Ils ont constaté dans deux centres d’hébergement d’urgence pour mineurs non accompagnés (MNA) que le taux d’incidence était 100 fois supérieur à la norme de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et c’est alarmant”, précise Maud D’Huyvetter. Pour rappel, le seuil de vigilance fixé par l’OMS est de 50 cas pour 100.000 personnes. Actuellement à Bruxelles, l’incidence est de l’ordre de 5.000 cas pour 100.000 personnes.
La politique migratoire au cœur du problème
À la question des causes de cette recrudescence, la réponse est sans appel pour les acteurs : “Il y a un lien direct entre la non-prise en charge du public, le non-accès aux soins et la recrudescence de la tuberculose”, affirme Astrid Bimson, chargée de plaidoyer pour le Hub Humanitaire. En effet, depuis quatre ans, la politique migratoire belge est pointée du doigt, notamment pour son non-accueil systématique des personnes demandant la protection internationale.
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Ainsi, ce refus d’accès à des centres d’hébergement, qui garantiraient des conditions de vie dignes et un dépistage médical, force de nombreuses personnes à vivre dans une précarité extrême : à la rue, dans des squats, ou dans des hébergements d’urgence. Ces environnements favorisent la transmission de la maladie. Les mineurs non-accompagnés sont particulièrement touchés. “Une grosse partie des cas concernent les mineurs non-accompagnés, ce qui montre une problématique de non-mise à l’abri de ces jeunes”, explique Astrid Bimson. Or, dans un contexte où les gouvernements envisagent de réduire encore les places d’accueil, la chargée de plaidoyer alerte : “La situation pourrait empirer”.
La maladie n’est pas importée, mais aggravée par l’exclusion
Pour Astrid Bimson et Maud D’Huyvetter, il est important de déconstruire certains amalgames. “La maladie de la tuberculose n’est pas amenée sur le territoire par la migration. Ce sont des déterminants sociaux, des conditions de vie difficiles et l’exclusion sociale qui mènent à la maladie”. Elles rappellent que la tuberculose a toujours été présente sur le sol belge, mais qu’elle était “sous contrôle”. Aujourd’hui, ce contrôle est donc fragilisé par des décisions politiques qui entravent l’accès à l’hébergement, aux soins et à la prévention.
Pour limiter la propagation, il est crucial d’agir en amont. “Quand les conditions sont dignes, que l’hygiène est appropriée, l’espace bien ventilé et l’hébergement pas surpeuplé, il y a une faible chance de transmission”, souligne Maud D’Huyvetter. Mais la difficulté reste de pouvoir repérer les malades. “C’est une maladie des poumons, donc les signes sont une toux persistante, se sentir affaibli. Mais c’est parfois difficile à distinguer dans une population qui vit déjà dans des conditions qui ne permettent pas de prendre soin de leur santé”, rajoute la cheffe de projet santé.
La prévention existe, mais manque de moyens
Les acteurs de terrain insistent : toutes les solutions pour endiguer la contamination existent. “On peut immédiatement les mettre en oeuvre, c’est juste une volonté politique qui doit suivre”, rajoute Maud D’Huyvetter. Le dépistage systématique, par exemple, a chuté de 90% à 50% chez Fedasil. Pourtant, des projets de dépistage mobile existent déjà : “Il y a un bus mobile de la VRGT (équivalent néerlandophone de FARES) mais il n’est pas financé. Les institutions sont prêtes à agir, mais n’ont pas les moyens financiers de le faire”, regrette-t-elle.
Aujourd’hui, la situation reste au stade de la prévention, qui selon les professionnels, coûte moins cher que de traiter des cas plus avancés demain. “C’est pour ça qu’on lance l’alerte : quand on peut agir maintenant, on peut bouger tant qu’on est au stade de la prévention”.
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Au cœur du problème, c’est bien la précarisation générale et la politique de non-accueil qui sont dénoncées. “La tuberculose est une conséquence supplémentaire de ce non-accueil, de cette non-prise en charge, et de l’augmentation de la précarité en général sur la santé“, rappelle Astrid Bimson, du Hub Humanitaire.
La maladie, bien qu’ancienne, pourrait redevenir une urgence sanitaire si rien n’est fait. “Il y a un réel danger potentiel qu’il y ait plus de transmission. C’est un risque que ça se développe si on ne prend pas des dispositions”, concluent-elles.
E.D





