Un horizon rétréci, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce jeudi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito les voyages vers la planète Mars.
Avec la guerre en Ukraine, nous avons donc changé d’époque. Plus rien n’est comme avant, et même la planète mars va s’en apercevoir.
Entre les Russes et les Européens, il n’y a désormais plus aucune coopération possible. À l’affrontement militaire, se superposent une guerre économique et financière, une guerre de l’énergie, une guerre de la communication, et même une guerre de l’espace. L’agence spatiale européenne suspend de la mission ExoMArs jusqu’à nouvel ordre.
Exomars est cette mission qui prévoyait d’envoyer sur la planète rouge un petit véhicule tout-terrain. Ce rover automatisé de fabrication européenne aurait dû être en mesure de forer le sous-sol martien, de l’analyser via un laboratoire intégré et de nous envoyer les résultats… C’est un outil décisif pour nous dire s’il y a eu un jour, de la vie sur mars. Le lancement était prévu en 2020, il avait été reporté en septembre de cette année. Le problème est que le transport de ce robot devait être assuré par des fusées Soyouz au départ de la base de Baikonour, il faudrait vraiment être dans la lune pour penser que ce genre de coopération est encore possible.
Cette annulation n’est pas la seule conséquence spatiale de qui se passe en Ukraine. Les autres lancements de satellites européens qui devaient être transportés par des fusées Soyouz sont annulés. L’étape suivante sera de savoir ce qu’on va faire avec la station spatiale internationale. En ce moment, elle accueille un Européen, quatre Américains et deux Russes. Théoriquement, deux Russes et un des Américains doivent revenir le 30 mars sur terre. Pour l’instant, ce vol retour est maintenu, mais pour la suite, rien n’est écrit. Il n’est pas exclu que les prochaines rotations se fassent à bord des fusées de la compagnie Space X d’Elon Musk plutôt qu’avec les vaisseaux Soyouz.
C’était sans doute l’un des grands acquis de la période postérieure à la Guerre froide d’avoir pu faire coopérer les Russes, les Américains et les Européens à des projets communs… Dans un grand discours prononcé en 1960, le Président John Fitzgerald Kennedy avait fait rêver le monde entier en parlant d’une nouvelle frontière, expression dans laquelle il avait glissé la conquête de l’espace, mais aussi la recherche de la paix et la lutte contre la pauvreté. La conquête de nouvelles frontières était l’inverse de l’isolationnisme. Une manière de jeter des ponts vers les autres et vers le futur.
Aujourd’hui, les Russes, mais aussi nous, citoyens de l’Union européenne, sommes donc condamnés à suivre la logique inverse. Il faut se renforcer de l’intérieur, apprendre à se protéger, gagner en autonomie pour ne plus être dépendant des autres. N’hésitez pas à chercher la planète Mars des yeux ce soir ou au moins à regarder les étoiles. On ne mesure, sans doute, pas encore à quel point depuis trois semaines, notre horizon s’est rétréci.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley