Secret défense, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito une commande d’armes fabriquées par la FN Herstal. 

Peut-on exporter du matériel nucléaire vers le Royaume-uni ? Et si on ne le fait pas, le Royaume-uni peut-il faire du chantage en bloquant en retour une commande d’armes fabriquées par la FN Herstal ? Ces deux questions agitent très fort le monde politique ces dernières heures. Entre ventes d’armes et diplomatie, décisions politiques et secrets défense, nous voici plongés dans une atmosphère de roman d’espionnage.

Autant, vous le dire tout de suite, dans cette affaire, ont beaucoup de rumeurs et d’hypothèses. Très peu d’informations réellement vérifiées. Toute l’affaire commence le 9 novembre. D’après LN24 le gouvernement fédéral aurait refusé ce jour-là d’exporter une presse isostatique vers la Grande-Bretagne. Une presse isostatique, c’est un outil qui peut servir à la fois dans le domaine du nucléaire civil et du nucléaire militaire. Comme la Belgique a signé le traité de non-prolifération des armes nucléaires, il faut l’accord du gouvernement pour ce type d’exportation.

Cette décision du gouvernement n’a pas été officiellement confirmée. Mais dans les rangs de la majorité comme de l’opposition, on s’est emparé de l’affaire. La Grande-Bretagne est un pays ami, membre de l’OTAN, pas de raison de lui refuser cette exportation. Et ceux qui ont pris la parole de fustiger les écologistes, accusés d’être les auteurs de ce blocage.

L’affaire se corse un peu plus encore quand on apprend via le site d’informations business AM que les Britanniques auraient par mesure de rétorsion décidée de renoncer à une commande de mitrailleuses fabriquées par la FN Herstal. Une grosse commande qui pourrait atteindre les 600 millions d’euros. La polémique repart de plus belle, et les écologistes sont de plus en plus brocardés. Le MR, la N-Va, les Engagés ne se privent pas de leur décocher des flèches assassines.

Hier, le Premier ministre Alexander De Croo a fini par calmer le jeu. Il n’y a encore eu aucune décision d’autoriser ou pas cette exportation, a-t-il précisé, regrettant la fuite d’informations sensibles. Tandis que Willy Borsus, ministre wallon de l’Économie, précisait que le contrat entre le Royaume-Uni et la FN Herstal était toujours en négociation, et que les montants cités dans la presse étaient largement exagérés.

L’une des données à bien avoir en tête pour comprendre cette polémique est que nous sommes dans un domaine couvert par le secret défense. Difficile de trier entre la vérité et l’intox pour savoir le vrai de ce qui ressemble au niveau international à un bras de fer diplomatique, et au niveau belge à une vulgaire peau de banane glissée sous le pied du voisin. On va perdre des emplois et c’est de ta faute ou on exporte des armes sensibles et tu ne dis rien.

Parce que d’après des sources bien informées, comme on dit dans ces cas, ce n’est pas tellement le Royaume-Uni qui pose un problème, mais plutôt que pour l’autoriser, il faut changer la loi. Le texte sur la table allait autoriser des exportations un peu partout dans le monde, que ce soit vers des pays amis ou pas. Rien n’est simple dans cette affaire, rien n’est établi, tout est basé sur des informations invérifiables puisque le dossier est classé secret défense.

Ce brouillard qui entoure cette livraison de presse isostatique, et cette commande de mitrailleuse, n’empêche pas le monde politique de s’invectiver avec force. C’est révélateur d’un glissement des pratiques politiques auquel nous assistons depuis quelques mois. Le secret défense, ou simplement le secret commercial, passent désormais au second plan lorsqu’il s’agit de faire un coup politique. Et comme ce coup n’a pu partir que d’un parti membre de la majorité… Cela en dit long sur le niveau de loyauté qui existe aujourd’hui dans la coalition fédérale.

■ Un édito de Fabrice Grosfilley