Rue de la Loi : quand Raoul pensait que l’exemple Portugais était “une manière de prendre ses responsabilités”
Le bras de fer est tendu, et les petites phrases cinglantes. PTB et PS sont passés en quelques heures du statut de partenaires potentiels à celui d’adversaires déterminés. En cause : un éventuel soutien extérieur du PTB à un gouvernement wallon minoritaire constitué des seuls PS et Ecolo. Pour les promoteurs de la formule une manière d’associer le PTB mais pas trop, puisqu’il n’aurait pas participé au pouvoir, mais qu’il aurait permis lors des grands enjeux (l’installation du gouvernement, le vote du budget annuel) de faire l’appoint (en votant pour ou en s’abstenant), histoire de permettre à une coalition de gauche de prendre le pouvoir à Namur. Nom de code de la formule : une coalition portugaise, puisqu’elle s’inspire de la situation politique en place à Lisbonne.
“Une majorité minoritaire ? on invente des choses au fur et à mesure” avait répondu cinglant le porte-parole du PTB. Le parti marxiste ne veut, pour l’instant, pas entendre parler de la formule, affirmant que tout cela n’est qu’un plan de com du Parti Socialiste pour lui faire porter le chapeau d’un échec des négociations à gauche et un ralliement futur au MR.
Pourtant Raoul Heddebouw n’a pas toujours trouvé que le soutien extérieur était une mauvaise idée. Dans une interview au magazine Politique de mai 2016 il trouve même que la formule a de l’intérêt, au moins autant que celle d’une participation au pouvoir sans rapport de force favorable : “au Portugal, il n’y a pas eu un vote de confiance, mais l’inverse : le Bloc Le Bloco de Esquerda (« Bloc de gauche »), coalition de quatre partis de gauche radicale créée en 1999, a obtenu 10,2 % des voix aux élections législatives de 2015 et le PCP ont décidé de ne pas soutenir une motion de défiance contre le gouvernement socialiste. Pour le parti communiste portugais, c’est une manière de prendre ses responsabilités, puisque le peuple ne voulait plus de gouvernement de droite. C’est une forme de soutien extérieur, comme à l’époque du Front populaire, en France. Donc, l’histoire montre qu’il n’est pas indispensable de participer au pouvoir pour peser sur les décisions.”
Pour l’instant le contact entre PS et PTB est rompu et Raoul Heddebouw ne semble donc pas prêt à appliquer en Wallonie ce qu’il observait au Portugal. Pour le PTB il faut une politique de “rupture”, comprenez une sortie des règles européennes en matière d’équilibre budgétaire, et/ou un investissement massif dans les transports et les logements sociaux, bref des marqueurs de gauche qu’il dit ne pas trouver dans les discussions infructueuses des derniers jours.
L’exhumation de cet article ne va donc pas arranger les relations entre socialistes et PTB qui vont donc pouvoir continuer à s’accuser mutuellement des pires maux. Pour les uns ce sera la preuve d’une manœuvre qui dit bien que la main tendue est factice et que le grand frère socialiste cherche surtout à les affaiblir. Pour les autres la preuve que leur interlocuteur cherche toutes les excuses possibles pour ne pas prendre de responsabilités.
Pourtant les deux partis ont beaucoup à perdre dans l’échec de leurs négociations : pour le PS retourner vers le MR serait un signe de surdité avancée, une incapacité à entendre le signal des électeurs qui en Wallonie votent à gauche, la promesse d’une nouvelle défaite électorale à la prochaine échéance. Pour le PTB la démonstration par l’expérience que mis au pied du mur il préfère s’abstenir et faire la courte-échelle à des partis de droite pour garder sa pureté, un vote rouge mais stérile. Mais ces analyses, rationnelles, pèsent peu face aux inimitiés personnelles.
Difficile de faire le tri entre ceux qui affirment avoir fait preuve d’ouverture et être prêts à négocier des avancées substantielles, et leurs interlocuteurs qui affirment qu’on tourne autour du pot et que les interlocuteurs les prennent de haut mais n’ont rien à négocier en réalité. Le conflit est historique, il oppose depuis toujours la gauche réformiste et la gauche révolutionnaire. Il est aussi dans le style et le rapport au pouvoir, entre un PS qui en connait toutes les subtilités et un PTB qui le découvre mais semble tétanisé, faute d’avoir l’expérience et le personnel susceptible de tenter une aventure ministérielle. Au balcon, la FGTB qui exhorte les uns et les autres à renouer le dialogue. A l’écart de la mêlée, Ecolo, qui serait pourtant le premier concerné, et qui ne s’exprime guère. Et, consterné, l’électeur wallon de gauche, qui peut retourner feuilleter les anciens numéros de Politique.