Rue de la Loi : Philippe Close saisit l’emblème de la sécurité
C’est un problème sensible, assurer la sécurité d’une grande ville. Permettre la tranquillité des riverains d’un côté (ce n’est pas parce qu’on habite le centre qu’on n’a plus le droit de dormir) et de l’autre créer un climat suffisamment festif pour qu’on ait envie de fréquenter les bars, les restaurants, les boites de nuit. Permettre à chacun de sortir dans la rue profiter de l’espace public, éviter de transformer la ville en no man’s land une fois la nuit tombée. Un espace ou l’on n’oserait plus se balader de peur d’être importuné, abordé, ou pire, violenté, agressé, rançonné. Un espace où l’on ne croiserait plus que des patrouilles de police habilitées à contrôler tout ce qui bouge. Un espace où l’on ne se sentirait pas toujours à l’aise par ce qu’on est femme, homosexuel, jeune, âgé, et qu’on a le sentiment de devenir une cible potentielle, qu’on va se faire siffler, suivre, harceler. En créant un piétonnier sur les boulevards du centre, la Ville de Bruxelles a créé un nouvel espace dédié aux loisirs. Tout bénéfice pour les commerçants, les night-shops, les cafés, les théâtres ou salles de concert. Un moyen de rendre la ville aux habitants et aux touristes. Avec ce paradoxe, quand on passait autrefois dans le centre-ville en voiture on était bien protégé à l’intérieur de son véhicule. Pas de contact direct avec la pauvreté, la violence, la toxicomanie, la prostitution, la saleté. Maintenant qu’on s’y ballade à pied, le contact est direct et on est saisi de plein fouet.
Garantir la sécurité est donc une constante de l’action politique. Après tout, si nous avons des autorités, avec des forces de police à leur disposition c’est avant tout pour cela, permettre le “vivre ensemble”. Garantir nos libertés cela commence par lutter contre la loi du plus fort. Nous permettre de vivre en société, c’est empêcher autant que possible l’agression de l’autre, sa spoliation ou sa soumission. Très longtemps la sécurité a été considérée comme un concept plutôt favorable aux formations et hommes/femmes politiques “de droite”. A droite, on était dans la répression et la défense de la propriété privée; à gauche, on était dans la prévention et la compréhension des tensions sociales. C’était caricatural évidemment et très longtemps cela a fait hurler quelques personnalités de gauche, sur le thème : sécurité et solidarité ne doivent pas entrer en concurrence. En annonçant un durcissement des mesures de sécurité sur le piétonnier, le bourgmestre de Bruxelles fait preuve de réactivité et de pragmatique. Il a suffit de quelques reportages dans les médias (en particulier néerlandophones)sur l’insécurité au centre-ville pour sortir un arsenal de mesures. Surtout il occupe fortement et médiatiquement le terrain sécuritaire. C’est d’autant plus important qu’en Belgique, le bourgmestre (ou le président de la zone de police depuis la réforme des polices locales) a comme première mission la sécurité locale (ce qui est très différent de la situation française où la sécurité incombe au ministère de l’Intérieur, relayé par les préfets au niveau local). Cette forte et mâle sortie, combinée avec le soutien aux forces de police mises en cause lors de la manifestation de samedi dernier, a l’avantage pour Philippe Close de couper l’herbe du piétonnier sous le pied de la droite. Elle devrait doper sa popularité et affirmer sa stature de bourgmestre. Mais la médaille a son revers. Car la lutte contre cette insécurité ressemble fort à une volonté de repousser hors du centre ville une misère extrême et ses corolaires (sans-abrisme, mendicité, toxicomanie, alcoolisme), même si le bourgmestre insiste sur les accompagnements sociaux qu’il met en place. Le désavantage pour lui, serait qu’on puisse se demander, parmi les militants et les associations de gauche, si le bourgmestre socialiste de la ville, en coalition avec des écologistes, appartient toujours au camp qu’il représente.