Rue de la Loi : l’enjeu politique des files
Nous ne sommes plus qu’à une semaine de la rentrée, et la question taraude déjà un certain nombre d’automobilistes, cyclistes, ou utilisateurs des transports en commun, qu’ils soient Bruxellois ou navetteurs : à quoi ressemblera la mobilité bruxelloise le 1er septembre et les jours suivants ? Traditionnellement, la rentrée scolaire annonce le retour des files aux portes des grandes villes, en particulier Bruxelles. Boulevards au ralenti et ring saturé, temps de parcours multiplié par deux ou trois sur les autoroutes qui conduisent à la capitale, et énervement garanti aux grands carrefours qui ne se libèrent qu’en fin de matinée. Habituellement, la situation va en s’empirant. C’est le 4 ou le 5 septembre, quand tous les écoliers sont réellement rentrés, qu’on mesure l’ampleur des difficultés, et s’il y a un soupçon de pluie en plus, on approche de la paralysie totale. Cela donne droit à des séquences aux journaux télévisés, l’automobiliste s’accroche au radio guidage de son autoradio, le cycliste peste sur les automobilistes qui le mettent en danger, et l’usager des transports en commun tente de jongler avec les nouveaux horaires, les correspondances ratées et le manque de places assises. Voilà pour le topo habituel.
Pourtant, le 1er septembre 2020 sera différent, forcément différent. À tel point qu’on est bien en peine de prévoir ce à quoi il ressemblera. Le Covid-19 a profondément modifié nos habitudes de vie, et donc nos déplacements aussi. Depuis le printemps, les autorités bruxelloises ont procédé à une série d’aménagements, dont le plus emblématique est l’installation de 40 kilomètres de pistes cyclables supplémentaires. La liste est effectivement impressionnante : rue de la Loi, boulevard Brandt-Wittlock, boulevard du Lambermont, boulevard Sylvain Dupuis, sans oublier une portion de l’E40 entre Evere et Meiser. Autant de nouveaux espaces réservés aux deux roues, et dans certains cas, pris aux automobiliste. Jusqu’ici, ces aménagements ne se sont pas traduits par des difficultés supplémentaires pour les automobilistes, et sont donc tout bénéfice pour nos déplacements : plus d’espace pour la mobilité douce, pas d’impact pour le trafic automobile. Les quelques embouteillages enregistrés au printemps ou dans le courant de l’été étaient dû à des travaux dans les tunnels (en particulier le tunnel Léopold II). La situation pourrait donc être qualifiée d’encourageante puisque fin juin, le trafic automobile était revenu à un niveau proche de la normale (après une chute spectaculaire le 11 mars), si l’on en croit les indices de la société Tom Tom.
Au cabinet d’Elke Van den Brandt, ministre bruxelloise de la mobilité, on évoque une rentrée “sous le signe de l’incertitude, mais pas sous le signe de la crainte”. La principale inconnue réside dans la part de télétravail. Les fonctionnaires et employés appelés à rejoindre la capitale dans le cadre de leur activité professionnelle vont-ils conserver leurs bonnes habitudes ? L’enjeu est majeur : 190 000 véhicules entrent et sortent de Bruxelles en temps normal. Le reste de l’équation concerne les Bruxellois : 175 000 déplacements intra-bruxellois se font par le biais de la voiture. Si une part significative de ces déplacements est désormais évité, la partie sera gagnée. Mais ce n’est acquis d’avance : selon une étude du cabinet Deloitte, 43% des Belges ont prévu de moins utiliser les transports en commun dans les prochains mois pour éviter le risque de propagation du Covid-19 (sur 3 000 personnes interrogées, chiffres publiés le 16 juillet, Deloitte Global). Un chiffre comparable à celui de l’Allemagne (46%) et inférieur à l’Espagne (64%) ou l’Italie (68%) mais qui fait craindre un report sur le trafic automobile…
“Tout l’enjeu est donc d’éviter un report vers la voiture individuelle”, commente Elke Van den Brandt, qui veut croire que la STIB “a très bien travaillé et offre le maximum de garanties sanitaires à ses usagers.” Elle veut aussi croire à une intensification du trafic à vélo : “Beaucoup de Bruxellois se sont mis au vélo pendant le confinement. Ces bonnes habitudes vont certainement rester dans une ville qui est désormais plus sûre à vélo. Les pistes cyclables ne sont pas une cause de la congestion mais une réponse à la congestion”. La ministre de la mobilité insiste sur la concertation autour des pistes cyclables installées dans l’urgence, parfois sous la protestation des riverains et des commerçants, sans parler des associations d’automobilistes. “Les évaluations et les discussions vont permettre d’améliorer certains de ces aménagements. Le mois de septembre va permettre de mesurer leurs effets, les flux aux feux rouges par exemple, avec un trafic plus réaliste que celui du mois de juillet”, ajoute-t-elle. Des réunions sont déjà programmées pour le boulevard Brandt-Wittlock (Etterbeek) et Sylvain Dupuis (Anderlecht), où un premier aménagement a été réalisé pour faciliter l’accès au Westland Shopping.
La polémique semble souvent inévitable lorsque ces aménagements apparaissent, puisqu’ils opposent les intérêts des navetteurs à ceux bruxellois, les tenants de l’automobile aux cyclistes, l’usage professionnel à une utilisation familiale voire récréative de l’espace public. Les libéraux bruxellois sont naturellement les plus critiques, quelques dents ont grincé du coté socialiste, et le ministre fédéral François Bellot prenait à partie le gouvernement régional. La perspective de files pourrait donc rapidement devenir un enjeu politique des prochaines semaines. Le cabinet Van Den Brandt se veut confiant : “En termes de flux de véhicules, ce n’est pas le fait de supprimer une bande de circulation qui crée la congestion. Quand vous avez un goulot d’étranglement comme le carrefour Arts-Loi, la taille de la bouteille avant ce goulot ne change rien”. Au contraire même, on veut croire que certains aménagements ont fluidifié le trafic automobile : “La suppression d’une bande sur le boulevard Général Jacques a mis fin aux changements de file des automobilistes… Au final, on roule mieux avec une bande de moins”. L’observation, optimiste, résistera-t-elle au retour des navetteurs ? Réponse dans une semaine.
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