Rue de la Loi : le mois qui rime avec banqueroute et autoroute

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Longtemps, comme d’autres éditorialistes sans doute, j’ai cru que la sortie de l’enlisement viendrait d’une perception de l’urgence économique. Qu’après avoir affronté la crise sanitaire, les partis politiques, se retrouveraient face à une actualité économique et sociale dominée par les annonces de faillites et de licenciements massifs qui les contraindrait à accepter un gouvernement d’urgence, seul scénario possible pour faire accepter à son électorat que l’on renonce à une part significative de son programme et aux exclusives posées avant ou après la campagne électorale. Je me suis sans doute trompé. D’abord parce que les divergences idéologiques entre la droite et la gauche restent, quoi qu’on en dise, et que le plan de relance des uns, basé sur  le maintien de la consommation et la protection des outils de production, donne des sueurs froides aux autres qui n’y voient que gabegie inefficace et fuite en avant budgétaire. Ensuite, parce que la crise sanitaire nous rattrape plus vite que prévu.

Cette seconde vague, qu’on imaginait pour l’automne, s’inviterait donc dès le mois d’août et nous interdirait toute torpeur estivale. C’est en tout cas ce que nous annoncent épidémiologistes et virologues, ces nouveaux gourous, à longueur de JT (c’est probablement discutable, mais cela n’est pas le propos ici). L’urgence n’est donc plus économique ou sociale mais sanitaire et médicale. La formule « affaires courantes transformées en union nationale du Covid 19 » (comprenez un gouvernement fortement minoritaire mais qui bénéficie d’un pacte de non agression au nom de la discipline des salles d’opération où on ne conteste pas l’autorité du chirurgien même s’il est en fin de carrière) a fait long feu et la page se tournera définitivement le 17 septembre, date à laquelle Sophie Wilmès a annoncé qu’elle remettrait le destin de sa coalition dans les mains des parlementaires.

Si au printemps on expliquait qu’il était urgent de ne rien changer car on ne formait pas d’équipage nouveau en pleine tempête sanitaire, l’ été serait donc le moment propice pour accélérer le tempo en prévision du gros temps médical à venir. Il faut dire que l’équipe Wilmès n’a pas fait grand-chose pour convaincre du caractère indispensable de son action. A l’exception de la Première Ministre elle-même dont les interventions restent  positivement perçues par l’opinion, les restes de la coalition Michel ressemblent plus à un canot de sauvetage qu’à un porte-avion. Et les couacs se multiplient : après la saga des masques, le comptage abscons des malades, les consignes inapplicables ou incompréhensibles, voici les tests qui ne suivent pas et les zones rouges fantaisistes. Et l’argument qui veut que les Régions portent une part de responsabilité risque de ne pas suffire : en période de crise il appartient bien au fédéral de reprendre la main. L’invoquer revient à se défausser et donne une impression de sauve qui peut.  Encore un peu et ce sera le Radeau de la méduse. Du pain béni pour justifier l’urgence qu’il y aurait à faire monter une autre équipe sur le terrain pour affronter la pandémie. A condition bien sur que l’équipe soit forte, si possible expérimentée et animée (on peut rêver) du souci de jouer collectif.

Paul Magnette et Bart De Wever ont tout intérêt à jouer cette carte de l’urgence sanitaire et d’essayer de transformer leurs retrouvailles estivales en autoroute vers le succès. Pour le socialiste, c’est sans doute la seule occasion de peser véritablement sur des négociations et de ne pas en être un partenaire à la marge. Et pour le nationaliste ? La même chose. Si la N-VA ne monte pas maintenant avec un partenaire enclin à lui faire quelques concessions sur le terrain de la régionalisation, il y a de fortes chances qu’elle finisse la législature sans bilan institutionnel et sur les bancs de l’opposition. Et quelle que soit la durée de celle-ci, 3 mois ou 3 ans, faire le pari de battre le Vlaams Belang dans cette position reste hasardeux. On soulignera aussi que les deux présidents auront probablement apprécié le front libéral qui se dressait devant eux à sa juste valeur. En s’associant urbi et orbi (et en allant jusqu’à demander aux deux grands partis de faire rapport devant eux)  Georges-Louis Bouchez et Egbert Lachaert auront envoyé (consciemment ?) un double signal à Paul Magnette et Bart De Wever : le premier a compris qu’on pouvait le laisser sur la touche définitivement (il y a moyen de prendre une présidence de parti de meilleure manière), le second que ce front libéral lui imposerait un statu quo communautaire. En se plaçant au centre du jeu, les libéraux ont donc contraint l’aile droite et l’aile gauche à prendre la possession du ballon. Ce n’était peut-être pas le but recherché, mais c’est ce qui se passe maintenant.

Dans ce contexte, renvoyer la famille libérale dans l’opposition est-il crédible ? Là, Paul Magnette et Bart De Wever  n’ont sans doute pas la même vision. En indiquant sur le plateau de VTM qu’on se passerait volontiers du MR, le président de la N-VA tente d’éjecter le partenaire qui risque d’être le plus réticent à des éléments de réforme de l’Etat. Il envoie aussi un signal à l’Open VLD : il ne tient qu’aux libéraux flamands de se dissocier du MR pour rester à bord. Paul Magnette, lui, a tout intérêt à se séparer de la famille libérale dans son entièreté : il faudrait alors le soutien des écologistes, ce serait la garantie d’une coalition plus à gauche et plus équilibrée linguistiquement, une perspective bien plus simple à faire avaler à un congrès de participation (avoir le PTB dans l’opposition ça va, y voir les verts en prime, bonjour les dégâts). Ce qui n’est probablement qu’un moyen de pression pour De Wever serait un coup de maître pour Magnette. Les deux stratèges en chef auront sans doute du mal à accorder leurs violons sur le sujet à moins d’une conversion subite de Bart De Wever aux enjeux climatiques. Ce lundi matin les socialistes étaient réunis en bureau virtuel, histoire de faire le point.  Les deux informateurs rencontrent les écologistes ce mardi. Tous les acteurs qui comptent se refusent pour l’instant à tout commentaire. C’est le signe que les discussions sont sérieuses. La trêve estivale est donc purement médiatique. Samedi prochain, les deux informateurs devront être capables de réunir une coalition potentielle. Dans le cas contraire ils risquent la banqueroute, aussi bien en terme partisan qu’à titre individuel.