Rue de la Loi : la Flandre boxe à droite et met le fédéral K-O, cinq leçons à tirer du choix de Bart De Wever (J+78)
Bart De Wever aura donc attendu le 12 août pour clarifier la situation. On retiendra que c’est le jour de la Sainte Jeanne-Françoise de Chantal, fille d’un président du parlement de Bourgogne, décédée en 1641, que le président de la N-VA enterra les espoirs d’une coalition bourguignonne. L’homme fort de Flandre a donc décidé de reconduire la majorité sortante N-VA-CD&V-Open VLD pour continuer à diriger les affaires flamandes. Il confie cette tâche à Jan Jambon, désigné formateur, et fixe le cap de cette coalition dans une note de 7 pages. La décision, qui n’est pas tout à fait une surprise, va singulièrement compliquer l’avenir au niveau fédéral. Résumé de la situation en 5 points.
1. La Flandre opte pour un modèle conservateur
En optant pour la reconduction de la majorité suédoise en Flandre, Bart De Wever garde un gouvernement ancré à droite (le CD&V tiendra probablement à dire de “centre-droit”). La feuille de route qui accompagne sa décision est d’ailleurs sans ambiguïté, qui opte pour des mesures fiscales clairement de droite (abaissement des droits d’enregistrement, exonération des droits de succession en cas de décès pour le conjoint survivant par exemple, alors que le bonus logement, qui aide les ménages à acquérir leur habitation, serait lui supprimé). Même chose pour l’enseignement avec la fin du système d’inscription dans les écoles (l’équivalent du décret inscription pour les francophones). Mais c’est surtout sur le terrain de l’immigration que le virage à droite est sensible : il faudrait résider en Flandre depuis 5 ans pour avoir le droit à la sécurité sociale… et un enfant né sur le territoire flamand n’aurait droit à des allocations familiales qu’après 6 mois. À l’évidence, ces mesures (dont la légalité sera probablement discutée étant donné leur caractère discriminatoire) sont un clin d’œil appuyé à destination de l’électorat du Vlaams Belang. On ne négocie pas pendant des semaines avec Tom Van Grieken pour ne rien en ressortir. Bart De Wever prépare déjà l’élection de 2024 qui risque de se résumer à une confrontation N-VA-Vlaams Belang. Pour éviter que l’électeur préfère l’original à la copie, il a donc décidé de suivre un modèle conservateur sur les questions institutionnelles, culturelles et économiques. Il abandonne en revanche les revendications plus sociales que portent aussi l’extrême-droite.
2. Bart De Wever tirera les ficelles depuis Anvers
Pendant la campagne électorale, la N-VA avait prétendu communiquer un casting explicite aux électeurs. Bart De Wever serait ministre-président flamand et Jan Jambon était candidat Premier ministre au fédéral. On subodorait que Theo Francken était en bonne position pour prendre la présidence du parti. En nommant Jan Jambon formateur flamand, Bart De Wever renie sa promesse de campagne. Il se replie sur Anvers, d’où il continuera à donner ses instructions. Le maïorat de la première ville de Flandre reste sa priorité. Ce changement de casting peut aussi être interprété comme l’abandon de toute ambition des nationalistes flamands pour le gouvernement fédéral (en tout cas à court terme), et donc une manière d’éviter la mise en chômage technique prolongée de Jan Jambon, qui du coup sera plus utile place des Martyrs (le siège du gouvernement flamand). Reste à voir si Bart De Wever continue de rester formellement président de parti et pour combien de temps. Reste également à voir ce qui sera proposé à Theo Francken.
3. Le niveau fédéral est sacrifié
Initialement, Bart De Wever avait justifié le gel des négociations régionales flamandes par le besoin de voir clair au fédéral. Quelques semaines plus tard, pirouette à 180 degrés, il prend donc les devants et décide du choix de sa coalition dans un sens qui va singulièrement compliquer les négociations entre francophones et néerlandophones. L’une des rares options envisageables (bien que délicate) était une coalition bourguignonne (qui aurait associé la N-VA aux familles libérales et socialistes). Les informateurs fédéraux (Didier Reynders et surtout Johan Vande Lanotte) avaient ouvertement reconnu que ce scénario était celui qu’ils privilégiaient et avaient obtenu un premier tout de table (qui n’engageait pas à grand chose). En éjectant le sp.a, la N-VA rend quasiment impossible la coalition bourguignonne. Les socialistes flamands n’auraient aucun intérêt à monter au niveau fédéral alors qu’ils sont dans l’opposition en Flandre. Sans leurs camarades néerlandophones, les socialistes francophones se retrouveraient bien isolés dans une majorité fédérale qui pencherait très nettement à droite. Elio Di Rupo n’aura pas traîné à leur faire savoir : le PS ne soutiendra pas une excroissance de la suédoise, a-t-il fait savoir en deux tweets, expédiés en français mais aussi en néerlandais. À tel point que l’on se demande bien à quoi peuvent encore servir les informateurs royaux. Bart De Wever a fait le choix de privilégier le niveau flamand, il vient de flinguer la mission Reynders-Vande Lanotte et les deux seniors de la politique fédéral se retrouvent tout nus, bien avant de retourner au Palais royal. L’idée que la paralysie est désormais de longue durée et qu’il faille envisager de nouvelles élections législatives gagne encore un peu de terrain.
S’imaginer que le PS pourrait faire l’appoint et dépanner les anciens partenaires de la coalition suédoise pour former un gouvernement fédéral, relève de l’illusion. (2/2) @de_NVA @openvld @cdenv
— Elio Di Rupo (@eliodirupo) August 12, 2019
4. Le défi climatique, nouveau gouffre Nord-Sud
Établir une cartographie cohérente et compréhensible des enjeux politiques belges n’a jamais été très simple. Au clivage droite-gauche s’ajoutait une opposition laïcs-catholiques. Puis une question royale et évidement une confrontation linguistique majeure (francophones-néerlandophones). Ajoutez désormais une singularité bruxelloise (les Flamands de Bruxelles ne sont pas des Flamands comme les autres de même que les Bruxellois francophones ne sont pas des Wallons). Mais surtout, leçon majeure des accords de gouvernement en gestation, un fossé, que dis-je, un ravin est en train de se creuser en matière d’ambition climatique. Dans sa note, Bart De Wever plaide pour un simple respect des objectifs pour 2050. On le sent tiède, sans mauvais jeu de mot. Les francophones, boostés par le bon score d’Ecolo, sont beaucoup plus chauds, et ont fait de la lutte contre le réchauffement l’un des points centraux de leur accord de gouvernement à Bruxelles comme des discussions en cours en Wallonie (même le MR s’inscrit dans cette logique). Les clivages constatés lors des législatures passées risquent de se renforcer, on ne préjugera pas du futur de la Belgique dans tous les domaines, mais on peut déjà écrire qu’elle n’a plus d’avenir en terme de politique climatique et que le décalage entre le nord et le sud rend ce pays ingouvernable et incapable de jouer un rôle sur le plan international dans cette matière sensible. Ce constat risque d’être rapidement valable pour les questions liées à l’immigration ou à l’identité.
5. PS et MR marchent sur des oeufs
La décision de Bart De Wever n’a pas que des implications au niveau fédéral. Elle complique aussi les négociations au niveau wallon. Pour le PS d’abord, qui voit s’éloigner la perspective de remonter dans une majorité fédérale, au moins à court terme. Les socialistes vont donc devoir porter une grande attention aux négociations wallonnes, tenter au maximum de garder les écologistes à bord pour garantir une politique “relativement” progressiste (sinon la sanction de l’électeur risque d’être sévère au prochain scrutin) et batailler pour garder suffisamment de portefeuilles pour ne pas décevoir trop de ministrables en leurs rangs (ce qui est contradictoire avec la présence des écologistes). Pour le MR, les enjeux sont autres : il va falloir assumer une présence dans un gouvernement fédéral en affaires courantes et minoritaire qui risque de rapidement apparaître comme un navire à la dérive (mais qui garantit quelques strapontins ministériels) tout en veillant à ce que l’accord wallon ne soit pas trop à gauche, pour ne pas paraître faire le grand écart entre deux niveaux de pouvoirs qui prennent des directions idéologiquement opposées. Non seulement les libéraux devront veiller à rester cohérents entre ce qu’ils feront à Namur et ce qui pourra encore se décider au 16 rue de la Loi, mais ils vont aussi devoir se soucier d’un décalage trop visible entre un gouvernement wallon “violet” ou “coquelicot-violacé” et une politique flamande clairement à droite, qui risque de faire rêver une partie de leur électorat. En d’autres termes, le PS et Ecolo vont vouloir se démarquer fortement des options flamandes, le MR va être tenté de ne pas trop s’en distancer. Le calvaire des négociateurs ne fait que commencer.