Rue de la Loi : Georges-Louis, la Belgique d’hier, deux interviews, un incendie

C’est complexe, la nature humaine. Pour la comprendre, il faut parfois multiplier les points de vue. Georges-Louis Bouchez n’est pas une exception : pour comprendre ce qu’il y a dans la tête du président du Mouvement Réformateur et informateur royal, on va vous conseiller la lecture de deux magazines aujourd’hui. Le premier, c’est Wilfried, un magazine qui sort 4 numéros par an et qui s’intéresse de très près à la vie politique. Le second, c’est Moustique, magazine d’actualité généraliste qui a mis en Une cette semaine un dossier sur les coulisses du pouvoir. Commençons par Wilfried, c’est de celui-là dont on parle beaucoup depuis ce matin.

“Moi, je suis pour un État unitaire”, y clame donc Georges-Louis Bouchez, “je ne parle pas d’efficacité quand je vous dis ça, mais d’attachement sentimental. Des améliorations liées aux réformes de l’État ? Je n’en vois aucune en ce qui concerne les grandes compétences. Si jamais on devait procéder à une évaluation des six réformes de l’État, je peux déjà vous donner la conclusion, on doit tout remettre au niveau national. Refédéraliser. Revenir à la Belgique de papa. Voici une interview détonante de la part de quelqu’un qui négocie actuellement avec la N-VA. Bart De Wever n’a d’ailleurs pas tardé à réagir sur Twitter :  “Georges-Louis Bouchez a le droit d’avoir son opinion mais en tant qu’informateur, il n’aide pas à faire avancer les choses. Ce que Bouchez propose nous ramène au XIXe siècle, c’est un manque de lucidité historique.” Autre réaction : celle de Bart Tommelein, un poids lourd de l’Open VLD, le parti des libéraux flamands :  “Je considère qu’il s’agit d’une opinion personnelle du président du MR. La réforme de l’État n’est pas une priorité pour nous, mais je pense qu’il faut gérer avec efficacité. Je veux surtout un gouvernement plus léger, avec des pouvoirs clairs à tous les niveaux.”

Ce matin, l’interview de Georges-Louis Bouchez (il s’agit d’un exercice croisé avec François De Smet) est donc commenté partout. À commencer par ceux qui ne l’ont pas encore lu. Pour Wilfried, c’est un beau coup de pub.

L’autre interview est dans le magazine Moustique. Georges-Louis Bouchez n’y développe pas autant sa vision unitaire, mais il glisse quand même qu’il adore son pays, qui est fait par essence de métissages. Et un plus loin, il dit sa compatibilité avec la N-VA malgré les différents communautaires : “Gouverner avec Ecolo ou le PS n’est pas forcement plus simple” dit-il, “j’ai un programme socio-économique plus proche de la N-VA, mais je n’épouse pas ses thèses identitaires.” Il faudrait sans doute compiler ces deux interviews et en faire la synthèse pour comprendre la position du président du MR. Incompatible avec les nationalistes flamands dans Wilfried, compatible dans Moustique. Il faut aussi s’intéresser aux dates. L’interview à Moustique a été réalisée vendredi dernier, à un moment où l’informateur essaye de mettre PS et N-VA autour d’une même table. Il marche sur des œufs. Il sait que monter une coalition est encore plus compliqué que de réussir une mayonnaise.

L’interview à Wilfried date de décembre. De début décembre, dit Georges-Louis Bouchez sur Twitter. De fin décembre ,corrige la rédaction de Wilfried, et cela fait toute la différence : depuis le 10 décembre, Georges-Louis Bouchez est avec Joachim Coens informateur. Chargé de mission au nom du palais royal. Il doit discuter avec tous les partis, notamment les partis flamands, en particulier la dominante N-VA pour essayer de trouver une solution à la crise qui paralyse le pays depuis près d’un an. Aller parler d’unitarisme, c’est plutôt une provocation pour les partis flamands. Georges-Louis Bouchez a le droit d’y penser, d’en rêver, d’en faire un programme, mais c’est plus délicat de le clamer haut et fort à ce moment précis, sauf à vouloir saboter sa propre mission. Une sorte de suicide de l’informateur qui aurait mis les deux pieds dans le plat communautaire.

Habituellement, quand on est chargé d’une mission royale, on évite les interviews. On se contente de conférences de presse convenues où chaque mot est calibré et on réserve ses confidences pour après, une fois qu’on est déchargé de sa mission. Georges-Louis Bouchez, qui a le souci de rompre les codes et communique de manière directe via les médias sociaux, n’a pas eu cette prudence. Alors qu’il essaye de pousser le PS à négocier avec les nationalistes, c’est finalement lui qui se retrouve en première ligne, donnant le sentiment qu’au fond, c’est peut-être lui qui n’est pas en mesure de négocier avec la N-VA… Être informateur à l’âge de 33 ans était une reconnaissance et un honneur. Après cette sortie et vu les premières réactions, ça ressemble plutôt à l’horreur. En théorie, Georges-Louis Bouchez et Joachim Coens sont informateurs jusqu’à mardi prochain. Cela leur laisse 5 jours pour corriger l’incident ou l’utiliser pour débloquer des discussions enlisées. Il n’est pas impossible qu’un mal provoque un bien, même si cet interview de fond fait pour l’instant l’objet d’une lecture purement épidermique qui n’aidera pas l’informateur à se poser en arbitre auprès des partis néerlandophones. Se prendre les pieds dans le tapis de sa propre communication pourrait provoquer une fin de mission plus agitée que prévu.