Rue de la Loi : du pacte à Zakia, la N-VA ne change pas

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Ce dimanche cela fait donc un an que nous n’avons plus de gouvernement de plein exercice, comprenez un exécutif capable de s’appuyer sur une majorité parlementaire. Un an que les ministres sont en « affaires courantes », sans autre budget que le système des douzièmes provisoires, et sans possibilité, théoriquement, de régler autre chose que les « urgences ». Un an que l’équipe MR-CD&V-Open VLD est à la merci d’un vote de la chambre qui prendrait sa politique à contrepied. 

Alors que cette fin de semaine a été marquée par une campagne choc du parti nationaliste flamand contre Zakia Khattabi, cela vaut sans doute la peine de revenir en arrière un instant. En politique belge l’histoire bégaye souvent et comprendre le passé éclaire parfois le présent. 

Il y a un an la N-VA décidait donc de saborder la coalition suédoise pour s’opposer à un pacte des Nations Unies qui prétendait fixer les grands axes d’une coopération internationale dans la gestion des flux migratoires. Je ne vous fais pas l’injure de rappeler  à quel point cette question fut sensible au cours de cette décennie après la guerre en Syrie, l’effondrement du régime de Khadafi, l’implosion du Soudan. Des centaines de milliers de personnes périrent dans la mer Méditerranée.  Quand on fuit l’horreur d’une guerre, qu’on veut mettre ses proches à l’abri des bombardements, des viols ou de la torture, qu’on fuit l’oppression ou l’obscurantisme, qu’on cherche juste à sauver sa peau, on est prêt à prendre beaucoup de risques.  Une partie d’entre eux sont donc parvenus à gagner les rivages européens. Il ne faut pas être devin pour comprendre que le phénomène risque de se poursuivre, de s’amplifier même, réchauffement climatique oblige.  Ce qu’encourageait le pacte des Nations Unies n’était ni plus ni moins qu’une coopération entre nations. Insupportable pour Bart De Wever, Jan Jambon, Théo Francken qui y voyaient une perte d’autonomie de la petite Belgique, qui aurait pu, horreur, se voir contrainte d’accueillir des réfugiés. Voici pour l’argumentaire politique officiel, celui qu’on peut défendre sur un plateau de télévision. L’affirmation que la Belgique, et singulièrement la Flandre, doit garder la clef de l’accès à son territoire dans son trousseau de compétences non-partageables. 

Il y a un an, il n’échappait à personne qu’un second niveau de lecture s’imposait aux esprits doués d’un minimum de sens critique. C’était évidemment l’avantage électoral que la N-VA entendait tirer de cet épisode. Un positionnement sur l’immigration c’était s’approprier le terrain de jeu du Vlaams Belang, le repousser sur sa droite, embrasser un spectre électoral plus large et flatter l’électorat xénophobe. Qu’on appelle cela une affirmation identitaire ou un positionnement populiste, quelles que soient les lunettes idéologiques que vous chaussez, la manœuvre électorale était claire pour tout le monde. De là où je me trouve et pour le dire sans prendre de pincettes diplomatiques : après avoir longtemps fait son beurre sur le dos des francophones et des transferts nord-sud (faudra juste un jour réaliser que Bruxelles est au sud et que ses richesses sont aujourd’hui captées par le nord, mais passons pour aujourd’hui), la N-VA enrôlait les immigrés, réfugiés, migrants et étrangers de tous poils dans son dispositif électoral. 

Nous sommes un an plus tard. Alors que la mission Magnette entrait dans le vif du sujet avec de premières discussions budgétaires,  la N-VA a donc refait parler d’elle cette semaine avec une publicité s’opposant à la désignation de Zakia Khattabi à la Cour constitutionnelle. La polémique a rapidement enflé côté francophone, et les marques de soutien à l’ancienne coprésidente écologiste ont rapidement afflué. Bien sûr la politique est un milieu où on ne se fait pas de cadeau, particulièrement entre francophones et néerlandophones, et écologistes et nationalistes sont clairement antagonistes. Un personnage public doit s’attendre à prendre des coups, fut-il une femme, même si on préférerait tous que le débat d’idées s’abstienne de viser les personnes. C’est d’autant  plus vrai que les écologistes ont aussi parfois usé d’attaques personnelles, comme cette caricature de Théo Francken par Ecolo J, que les détracteurs des écologistes n’ont pas manqué de rappeler. On pourrait en débattre, mais soit, allons à l’essentiel. 

Ce qui nous semble important à souligner, c’est comme pour le pacte des Nations Unies, la N-VA présente un argumentaire rationnel qui peine à masquer une stratégie électoraliste au goût douteux. L’argument déclaré serait donc le caractère militant de Zakia Khattabi, ses déclarations valorisant l’action politique au détriment du légalisme juridique le plus strict, et en particulier son opposition à l’expulsion d’un ressortissant tunisien dans un avion de ligne en 2013. L’argument a ses limites : Zakia Khattabi n’a pas fait l’objet d’une condamnation, élue au Sénat puis à la Chambre elle est donc parfaitement éligible à la fonction de juge constitutionnelle. Puisque l’on veut faire du juridisme c’est la seule chose qui compte. Le reste (les appréciations sur ses compétences par exemple) est purement subjectif, et on rappellera que la cour est constituée pour moitié d’anciens parlementaires à qui on ne demande pas de compétences juridiques particulières, l’autre moitié de l’assemblée étant composée de magistrats émérites. Derrière cette argumentation, dont on pourrait déjà discuter,  il y a surtout une campagne de communication qui dit en réalité bien autre chose. Le visage en gros plan de l’élue écologiste accompagnée du slogan « stop Khattabi » renvoie peu subtilement à une communication d’extrême droite. Si la candidate était un candidat, si elle s’appelait Dupont ou Van Brugge, la N-VA n’aurait pas perdu de l’argent à produire et faire circuler une campagne sur le net. Quel est l’intérêt d’attaquer nommément et personnellement une personnalité qui, frontière linguistique oblige, ne se présente pas devant vos électeurs ? La réponse est la même qu’il y a un an. Pour envoyer des signaux aux électeurs aux pulsions  xénophobes. Derrière le « stop Khattabi » ces électeurs auront plutôt lu un « stop immigration ».  Tout dans la méthode rappelle l’extrême droite : la technique du bouc émissaire, l’attaque personnelle, le slogan qui décalque ceux du Belang. La N-VA fait donc preuve de constance. Elle chauffe son électorat et le flatte dans le sens du poil qu’il a très court. A l’heure où certains partis politiques respectables se demandent quel partenaire de négociation choisir, où l’on entend parfois dire que la N-VA est le plan A, il n’est pas inutile de le souligner. Et d’être conscient que reprendre la N-VA à bord c’est se condamner d’office à multiplier des « recadrages » aussi fréquents qu’inutiles….  ou admettre qu’on gouverne avec un parti qui a, vis à vis du racisme, une politique particulièrement claire : mettre systématiquement le pied sur la ligne jaune (et noire).