Pas d’amour dans le football, l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce lundi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito la Coupe du monde et l’obligation de porter le brassard officiel
Il n’y aura pas de brassard arc-en-ciel pour les capitaines, et pas de mention love sur le maillot des diables. Pour la FIFA ces références à la diversité et à l’inclusion étaient un message politique. Et au Qatar, on ne les verra pas.
La FIFA a tranché, et personne ne se risquera à lui ternir tête. Les équipes dont les capitaines n’arboreraient pas le brassard officiel risqueront une sanction sportive. À quelques heures des premiers matchs de qualification, la menace a fait l’effet d’une douche froide. Sept délégations avaient en effet prévu de porter ce brassard qui est un signal d’ouverture et de soutien aux communautés homosexuelles. Sept délégations priées de rentrer dans le rang. Pas de message de ce genre-là pendant la coupe.
Cela fait des mois qu’on en parle de ces brassards. Outre la Belgique, les Pays-Bas, le Danemark, l’Allemagne, ou l’Angleterre qui devait jouer ce soir, avait prévu de le faire porter par leur capitaine. Il y a quelques jours, le capitaine de l’équipe de France Hugo Lloris s’était désolidarisé du mouvement. Cette fois, la FIFA va plus loin. Interdiction formelle. Décision qui ressemble à un oukase, communiquée alors que la compétition a déjà commencé. Une sorte de loi du plus fort, qui ne fait pas dans la dentelle et qui vient rappeler au monde entier quel côté la FIFA se trouve. Elle se trouve du côté du Qatar, et surtout pas du côté de ceux qui trouve qu’en matière des droits humains, il y a beaucoup de choses à dire sur ce qui se passe dans ce petit État qui applique la charia.
Pour les Diables rouges, il y aura même une double punition. Non seulement Eden Hazard ne portera pas ce fameux brassard, mais il va falloir renoncer au maillot qui était prévu pour les matchs extérieurs. Ce maillot blanc, où dans le design initial apparaissait dans le dos, en dessous du numéro du joueur, la mention love en lettre multicolore, dans un design qui rappelait un peu tomorrow land. Ce mot love, on ne le verra pas sur les pelouses. Pas sur les pelouses, et pas en dehors non plus, on rappelle que les relations sexuelles entre couples non mariés ne sont pas autorisées au Qatar, et qu’en ce qui concerne les relations homosexuelles, c’est la peine de mort qui peut être encourue.
Ce lundi, les joueurs européens ont fait part de leur consternation, de leur frustration, de leur déception… mais jusqu’à preuve du contraire, ils rentreront dans le rang. On peut les comprendre. Une Coupe du monde, c’est tous les quatre ans, cela peut être le sommet d’une carrière, une occasion de briller au plus haut niveau pour laquelle on se prépare pendant de longs mois. Il n’est pas exclu que les joueurs trouvent un autre moyen de défendre les valeurs auxquelles ils sont attachés. On verra bien. L’Union Belge indique quand même qu’avec les autres fédérations européennes concernées, elle portera désormais un regard critique sur ses relations avec la FIFA pour la période à venir.
Le coup de Jarnac de la FIFA a au moins un mérite. C’est celui de nous débarrasser définitivement de toute illusion. Le Qatar et la FIFA s’occupent de foot et pas des droits humains. Pire, ils ne voudraient pas que cette question des droits humains puissent être publiquement abordée, créer un débat, ternir la fête. C’est bien à ce pays-là qu’on a confié la Coupe du monde de football. Un pays qui poursuit les homosexuels, emprisonne les syndicalistes et interdit aux femmes de voyager sans leur mari.
Cet épisode nous rappelle à quel point les notions liées aux droits humains sont beaucoup moins universelles qu’on voudrait le penser. Et les quatre lettres du mot love qu’on ne saurait voir sur un terrain, pour certains cela dérange beaucoup plus que les milliers de morts, les milliards de dollars ou la gabegie énergétique qu’on dépense sans se cacher ni s’excuser, n’en déplaise à certains.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley