Ne pas détourner le regard, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce mercredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le risque de lassitude qui risque de prendre le dessus sur les médias et les citoyens concernant la guerre en Ukraine.

Après le choc et la révolte, les protestations, le constat d’impuissance aussi, la crainte, la colère, la peur ou l’anxiété… La guerre en Ukraine est en train de s’installer dans la durée. Avec de nouvelles émotions qui menacent de s’installer : l’accablement, le découragement, la lassitude… Avec le risque ultime, celui de la banalisation.

Ne pas se lasser, ne pas détourner le regard, ne pas passer à autre chose. C’est tout l’enjeu de la couverture de cette guerre qui est en train de s’installer dans la durée. C’est un enjeu pour nous, journalistes. C’est un enjeu pour vous, les citoyens. La tentation de vouloir passer à autre chose, la peur de se répéter, le désir légitime de pouvoir s’aérer l’esprit est en train de gagner du terrain. Petit à petit, vos journaux pourraient quitter la logique de l’édition spéciale. Traiter d’autres sujets. Et finalement laisser l’Ukraine redevenir une information presque comme les autres.

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Cet enjeu est loin d’être négligeable. Parce que la guerre est en train de s’enliser. On avait pensé à un blitzkrieg, une guerre-éclaire. La résistance ukrainienne est réelle. Nous sommes progressivement entrés dans une guerre de positions et de mouvements. On tente d’encercler l’adversaire, de le couper de ses bases arrière. Et le risque est grand que nous ne soyons dans quelques jours ou quelques semaines confrontés à une guerre d’occupation avec des combats de rue. Des bombardements, des exactions. Et comme pour la Syrie, il y a quelques années, on en parlera beaucoup un jour et un petit moins le lendemain.

Nous sommes encore loin de cette situation. Nous aurions même plutôt tendance à ne plus trop savoir où porter le regard. Sur la situation militaire, sur l’exode des civils, sur l’arrivée des réfugiés en Europe. Sur les conditions un peu chaotiques de leur enregistrement à Bruxelles. Sur les prix du gaz et de l’essence. Sur la réaction européenne. Sur le sommet de Versailles. Sur l’inquiétude nucléaire, quand on apprend que la centrale de Tchernobyl est privée d’électricité. Les sujets ne manquent pas.

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Dans cette avalanche d’informations, nous ne pouvons pas non plus éviter de regarder avec lucidité ce qui s’est passé en Ukraine ces dernières années. Un nationalisme bien réel, la présence de groupes radicaux et paramilitaires, un peu comparable à ceux qui se sont développés en Hongrie. Nous ne devrions pas non plus détourner le regard quand des Belges décident d’aller se battre aux côtés des Ukrainiens. Une démarche qui est celle du Djihad, même si on n’emploiera pas le terme puisque nous sommes entre Européens. Mais c’est bien le même danger qu’il faudrait bien cette fois-ci savoir traiter à temps. Alors, non, il ne faut pas baisser les yeux, ne pas vouloir passer à autre chose. Et regarder la vérité en face, sans se lasser, même si elle nous fait mal au cœur. Nous le devons aux Ukrainiens, et nous nous le devons aussi à nous-même.

Un édito de Fabrice Grosfilley