L’honneur de l’information, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce mardi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le courage de la journaliste russe Marinea Ovsiannikova.

Il y a des images qui sont destinées à entrer dans l’histoire. Cette photo de Marinea Ovsiannikova qui brandit le panneau no war derrière la présentatrice d’un des principaux journaux télévisés de Russie en fait partie.

Cette photo, vous l’avez sûrement vu aujourd’hui. Elle inonde littéralement les réseaux sociaux, qu’il s’agisse de Facebook, Twitter, ou Instagram. Si ce cliché nous impressionne tant, c’est d’abord parce qu’il souligne combien la censure est grande en Russie. L’information est souvent univoque en temps de guerre. En particulier à la télévision où la nuance est difficile. Un journal télé raconte la guerre, la montre, il ne la décrypte ou ne la discute pas.  Et c’est sans doute encore plus vrai en Russie qu’ailleurs, où tous les médias dissidents ont été fermés et où la diffusion d’une autre information que celle fournie par les autorités est désormais passible de 15 ans de prison.  Pour faire passer un autre message, il faut oser la transgression, avec toutes ses conséquences. 

C’est le deuxième point fort de cette photo. Celui qui permet de personnaliser, d’humaniser une situation. On savait tous que toute la Russie n’était pas derrière Vladimir Poutine. Nous savions aussi que de nombreux journalistes occidentaux avaient préféré quitter le pays. Nous découvrons avec Marina Ovsiannikova que des journalistes russes osent la désobéissance civile. Oui, il y a bien une opposition interne en Russie, et elle a désormais le visage d’une employée d’un chaine de  télévision.   “Ne croyez pas la propagande, ici, on vous ment, les Russes sont contre la guerre” disait son panneau qui n’est apparu que quelques secondes à l’antenne. 

Ce qu’ose Marina Ovsiannikova, c’est aussi la réaffirmation de sa déontologie professionnelle. Parce que non, un journaliste ce n’est pas un supplétif du pouvoir. L’information qui consiste à apporter les événements tels qu’ils se présentent, en allant vérifier sur place, par l’intermédiaire des reporters, si nécessaire, admettre et expliciter la diversité des points de vue, ce n’est pas la même chose que la communication qui consiste à vous présenter les choses d’une manière univoque qui arrange un pouvoir ; qu’il soit économique, militaire ou politique.

Dans les années que nous venons de traverser, les journalistes ont très souvent été pris à partie. On nous accusait d’être à la solde des gouvernements et des laboratoires pharmaceutiques, voire carrément de prendre nos ordres chez Bill Gates. Des médias émettant depuis la Russie comme Russia Today, ou Sputnik, ainsi qu’une myriade de blogueurs ou d’internautes en lien avec eux n’étaient  pas les moins actifs dans cette diffamation organisée. Aujourd’hui, les masques sont en train de tomber. Il y a bien une communication aux ordres. Elle est à l’œuvre en Russie. Et il y a bien des journalistes qui vont chercher l’information, la recoupe, la contextualise et  la restitue. Il y a Marinea Ovsiannikova. Il y a aussi tous les confrères et,  ça ne vous a pas échappé, et beaucoup de consœurs, qui sont sous les bombes en Ukraine. Et n’en déplaisent aux malveillants, ce ne sont pas Bill Gates, ni les laboratoires pharmaceutiques qui iront les chercher en cas de problèmes. 

■ Un édito de Fabrice Grosfilley