Les mots de la route, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce mardi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le drame de Strépy-Bracquenies qui a coûté la vie de 6 personnes.

Un excès de vitesse et 6 vies qui s’en vont. Une inculpation pour homicide involontaire, et beaucoup d’émotion. Ce qui s’est passé ce dimanche matin à Strépy-Bracquegnies est beaucoup plus qu’un banal fait divers. Mais il va falloir trouver les mots justes si on veut pouvoir en débattre et en tirer les leçons. Ce mardi matin, la juge d’instruction en charge du dossier a donc prononcé deux inculpations. Pour le chauffeur de la voiture, qui reste sous mandat d’arrêt, homicide involontaire et coups et blessures involontaires. Pour le passager, qui a été remis en liberté, non-assistance à personne en danger. Cette qualification d’homicide involontaire est importante. Elle signifie que pour la juge d’instruction, on a bien affaire à un accident, et pas à une volonté délibérée de tuer. Pour le coupable, cela veut dire une peine de prison qui peut aller de 3 mois à 5 ans. Si la qualification de meurtre avait été maintenue, la peine aurait pu monter jusqu’à 20 ans. 

Alors évidemment entre 5 et 20 ans, il y a une petite différence. Et depuis ce matin, une partie de l’opinion touchée de près ou choquée par ces événements exprime une réelle incompréhension, parfois de l’amertume, et peut-être même une forme de colère. À la décharge des magistrats, on rappellera que le rôle de la justice est de faire appliquer la loi, pas de l’écrire. Si on trouve que prendre 5 années est une peine insuffisante, c’est avant tout aux députés qu’il faut s’adresser. On peut suggérer au monde politique que le moment est sans doute opportun pour passer à une répression plus sévère des excès de vitesse ou pour concrétiser le permis à points qui était envisagé dans l’accord de gouvernement.

Si ce débat nous emmène bien plus loin qu’un fait divers, c’est justement pour cela. Parce qu’il met en lumière une forme de tolérance sociale pour l’incivilité routière. Le drame de Strépy-Bracquegnies peut nous aider à prendre conscience que tout excès de vitesse est une mise en danger, qui devrait rimer bien plus avec criminalité qu’avec virilité. Et qu’il y a chez beaucoup une certaine indulgence, pour ne pas dire une certaine permissivité, avec ceux qui se vantent d’enfreindre le code de la route. Si Strépy est en Wallonie, la réaction de certains automobilistes de la Région bruxelloise, j’ai bien dit certains, pas tous, lorsqu’on leur parle de zone 30 ou de pistes cyclables, relève du même penchant pour l’agressivité. Parce que oui, on a tous au moins une fois pas vraiment respecté une zone 30, ou un 50 km/h, ou un 120 km/h. Au volant, nous nous préoccupons de notre propre sécurité avant de penser à celle des autres, et que toute limitation a tendance à être considérée comme une entrave à notre liberté.

Trouver les mots justes, c’est donc essentiel. Quelle expression allons-nous employer pour parler de Strépy-Bracquegnies ? Un accident ? Ce terme qui laisse penser que c’était imprévu, voire imprévisible, la faute à pas de chance, et qu’une fois l’accident passé, les choses reprennent leur cours normal ? Un drame de la route ? Qui certes dit l’ampleur de la catastrophe, sans préciser qu’on aurait pu l’éviter et que la cause du drame est le comportement d’un conducteur ? Ou une collision parce que ce terme est plus technique ? Finalement, “homicide” n’est pas un mauvais terme. Parce qu’il nous rappelle qu’avec l’expression sécurité routière, ce n’est pas la route, mais des vies humaines qu’on cherche à protéger.

Un édito de Fabrice Grosfilley