Les messagers de la culture : l’édito de Fabrice Grosfilley
Ce mardi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito deux évènements culturels délaissés de l’actualité du jour.
Une disparition et une rénovation. Dans la, toujours très brûlante et très bruyante, actualité, il y a deux informations culturelles qui ont réussi à passer le mur des rédactions. Deux informations, qui chacune dans leur style, peuvent nourrir nos réflexions.
La première, c’est évidemment la disparition de Jean-Luc Godard. Immense cinéaste franco-suisse. Auteur de chefs-d’œuvre « à bout de souffle » « pierrot le fou » ou « je vous salue marie », père de la nouvelle vague, cette nouvelle manière de faire du cinéma qui a tout changé à la manière de faire du cinéma. On est dans les années 1960. La nouvelle vague impose le tournage en extérieur, avec un éclairage naturel et un enregistrement sonore direct. Mais surtout, la nouvelle vague met à l’avant-scène des héros qui sont des jeunes de leur époque. Belmondo, Jean Seberg. Ils ou elles exposent leur fragilité, leur doute, leur soif d’indépendance.
De Godard, on retiendra aussi qu’il fût rapidement prisonnier d’une image, d’une caricature même. Celle de l’intellectuel qui parle de son art et le dissèque avec autant de maestria qu’il ne le pratique. C’est cette image-là que le grand public aura de lui. Un discours qui peut paraître perché, inaccessible… et qui souvent se transforme en barrière. On a fini par plus connaître Godard et son personnage que ses films. Et cette dérive très audiovisuelle, lui qui détestait la télévision, est un trait marquant de notre époque.
De Godard, on retiendra aussi qu’il a choisi ce que les Suisses appellent le suicide assisté. Une euthanasie donc. Parce que l’homme depuis longtemps se disait fatigué. Fatigué et tourmenté, lui qui ne cessait jamais de réfléchir. Dans une interview, il avait d’ailleurs indiqué que cette question du suicide était le seul problème philosophique vraiment sérieux. Et dans une autre que s’il était, un jour, trop malade, il n’avait pas envie d’être traîné dans une brouette. Godard a choisi de partir et il a voulu que cela se sache. Une manière d’être le réalisateur de sa propre vie, celui qui décide de lancer le générique de fin.
L’autre information est beaucoup plus anecdotique. Elle se passe à Zeebruges. C’est l’intégration d’un morceau des tours du World Trade Center au poste de pilotage de l’Askoy II. L’Askoy II, c’est le dernier bateau de Jacques Brel. Un navire qu’on est en train de sauver de la ferraille en le rénovant. La rénovation touche à sa fin. Mettre un bout des tours qui ont été visées par les attentats du 11 septembre dans le poste de pilotage du voilier est un symbole de paix, a expliqué le ministre flamand Matthias Diependaele. L’annonce que ce bateau reprendra bientôt la mer est une manière de prolonger l’esprit de Jacques Brel et son souvenir.
Voilà deux informations qui ne changeront pas la face du monde. Qui ne vous feront pas oublier les prix de l’énergie, la guerre en Ukraine, le réchauffement climatique. Mais deux informations qui illustrent aussi que l’actualité, ça peut aussi être un arrêt sur image. Un temps de réflexion. Un moment où on se demande ce qu’il y a dans l’image. Et si on a aussi, ou pas, envie de s’en souvenir.
■ Un édito de Fabrice Grosfilley