L’édito de Fabrice Grosfilley : le discours d’un roi

Ce jeudi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito  le discours du roi Philippe au Congo.

Le régime colonial était basé sur l’exploitation et la domination. Une relation inégale marquée par le paternalisme, les discriminations et le racisme“. Ce sont les paroles prononcées par le roi Philippe hier à Kinshasa au Congo. Des paroles qui sonnent comme une condamnation de la colonisation,  mais qui n’allaient pas jusqu’à présenter des excuses. 

Ce discours mérite qu’on s’y arrête.  Certes, ce n’est pas une révolution ou un virage à 180 degrés. Mais c’est quand même une étape majeure que des propos sans ambiguïté soient tenus par le plus haut représentant de la monarchie au sujet de la colonisation. Certes, Léopold II n’est pas un aïeul direct du roi Philippe, mais on sent que chez le souverain actuel la condamnation est réelle, documentée, affirmée. Ces propos consacrent à la fois une évolution diplomatique, la Belgique de 2022 se rapproche du Congo d’Etienne Tshisekedi plus qu’elle n’avait pu le faire avec les régimes de Mobutu et de Kabila. Mais aussi et surtout une posture personnelle du souverain qui souhaite s’éloigner des propos ambivalents qui étaient parfois tenus dans le passé au sein de la famille royale. 

Certes, il n’y a pas eu d’excuses dans le discours d’hier. Sans doute que ce terme est encore tabou. D’abord, parce qu’il pourrait ouvrir la voie à des demandes en réparations. Ensuite, parce que ce débat est encore en cours au sein de la commission sur le passé colonial mise en place au Parlement fédéral, et qu’il faut en attendre les conclusions avant d’aller éventuellement plus loin. Il faut rappeler également que tout discours royal doit être couvert par le gouvernement, ce qui veut dire que ce discours, comme d’autres, aura été lu et approuvé au préalable par la chancellerie du Premier ministre. 

Ce débat autour des excuses, il est évidemment important. On ne peut pas minimiser ce qui s’est passé au Congo entre l’année 1879, quand Stanley commence à coloniser des terres au nom de Léopold II, et 1960, l’année de l’indépendance. Et en particulier la période qui va jusqu’en 1908, lorsque le pays est la propriété personnelle de Léopold II. Exploitation des ressources naturelles, mains coupées et un bilan qui commence à 2 millions de morts pour certains historiens, qui se situe plus vraisemblablement entre 5 et 10 millions de morts pour la plupart des autres. Se plonger dans les récits de l’époque, c’est en ressortir avec la gorge nouée et un sentiment de déshonneur aussi profond qu’une mine de diamant. 

Ironie de l’actualité, pendant que le roi Philippe et la reine Mathilde sont à Kinshasa, une dépêche de presse nous apprend qu’un éboulement dans une mine de diamants a fait 40 morts. C’est un bilan provisoire. Cela s’est passé près de Tshikapa dans la province du Kasaï. C’était mardi soir, à peu près au moment où la délégation belge arrivait dans la capitale. Quarante morts dans une mine au Congo, en temps normal, l’information ne serait pas remontée,  on ne vous en aurait pas parlé. Il faut absolument regarder les films du cinéaste Thierry Michel où les grands reportages photographiques de certains collègues journalistes pour comprendre ce que sont les conditions de travail dans ces mines à ciel ouvert ou avec des galeries de fortune, où on travaille à mains nues, sans protection, dans la boue ou  sous la terre, femmes et très jeunes enfants inclus. 

Alors bien sûr, cette misère du Congo d’aujourd’hui, la violence sociale, l’extrême pauvreté de ses habitants, ce n’est plus la responsabilité de la Belgique d’aujourd’hui. Le colonisateur d’hier a cédé la place à des sociétés privées. Certaines ont des capitaux belges, d’autres pas. D’autres puissances étrangères sont désormais impliqués et la corruption de certains congolais contribue également au déséquilibre du pays. Mais se dire qu’on serait en droit de se  désintéresser totalement du Congo et que ce n’est plus du tout notre problème, c’est être très peu regardant sur le plan historique. Et c’est, surtout, manquer de beaucoup d’humanité quand on voit ce qui s’y passe.

■ Un édito de Fabrice Grosfilley