Que la justice ne soit plus nulle part, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce vendredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito le rôle de la justice face au comportement de la police.

Police partout, justice nulle part. Ces mots, vous les avez sûrement entendus lors de manifestations ou lus quelque part, en graffitis, sur un mur. Cette formule est pourtant loin d’être moderne, elle a 170 ans.

Le créateur de ce bon mot, c’est Victor Hugo. C’était à l’Assemblée nationale française, en 1851. Victor Hugo était député de Paris. Il ferraillait contre Louis Napoléon Bonaparte,  à l’époque premier président de la République française. «  Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : la police partout, la justice nulle part » lançait l’écrivain à la tribune. Propos prémonitoires. Cinq mois plus tard, Louis Napoléon, qui s’y connait en limitation des libertés, organise un coup d’État et se fait couronner empereur sous le nom de Napoléon 3. Victor Hugo est condamné à l’exil et débarque à Bruxelles.

Police partout, justice nulle part. La formule de Victor Hugo résonne toujours. Peut-être parce que dans notre perception, la police et la justice sont étroitement liées. Et que bien souvent, trop souvent, la justice donne l’impression d’être toujours du côté de la police et couvrir, quoi qu’il arrive, le travail des hommes en uniforme. On va rappeler qu’en démocratie, le Parlement fait les lois, que la police se charge de vérifier leur application, en prévenant ou empêchant les infractions, et qu’en dernier lieu, c’est à la justice qu’il appartient de condamner. Que c’est pour cela que la justice se doit d’être indépendante. Que ni les policiers, ni les hommes politiques ne peuvent s’y soustraire ou faire pression sur elle. Cette séparation des pouvoirs est la condition indispensable d’un État de droit. Quand elle n’existe plus, il y a de fortes chances de voir beaucoup de police et très peu de justice.

Il y a deux jours, la justice bruxelloise a pris une décision qui mérite qu’on s’y arrête. C’est l’inculpation de 3 policiers pour homicide involontaire. Les faits remontent à 2017, il y a déjà 5 ans. Ça se passait place Poelaert, devant le Palais de justice justement. Deux jeunes circulent à moto. Conduite dangereuse. Équipement insuffisant. Les policiers prennent le couple en chasse. Deux autres véhicules sont appelés en renfort. Avenue Louise, la moto heurte la voiture de police qui s’est mise en travers pour lui bloquer la route. Ouassim Toumi, 24 ans, meurt sur le coup. Sabrina El Bakkali, 20 ans, décédera peu après.

Alors bien sûr, personne ne doit se soustraire à un contrôle de police ; et ces jeunes gens se sont, par leur conduite dangereuse, mis dans une situation où ils n’auraient pas dû se mettre. Mais l’analyse de leurs proches, c’est que la prise en chasse était disproportionnée. Que les policiers ont répondu à une mise en danger, par un danger encore plus grand. L’histoire n’est pas finie. Le procès n’a pas eu lieu, la vérité judiciaire va devoir encore attendre un peu. Mais qu’après 5 ans, la chambre des mises en accusation inculpe ainsi 3 policiers alors que par deux fois, le Parquet avait estimé qu’on n’avait rien à leur reprocher, c’est une nouvelle importante. Parce qu’elle souligne que si oui, la justice collabore avec la police, elle n’en reste pas moins indépendante. C’est une condition indispensable pour qu’on puisse dire qu’à Bruxelles, la justice n’est pas nulle part.

Un édito de Fabrice Grosfilley