L’amour du foot, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce jeudi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito l’engouement atour des matchs des Diables Rouges ainsi que l’euphorie autour de la Coupe du monde.

De la passion, de l’excitation, des débordements parfois. La Coupe du monde de football se déroule à 6 000 km de Bruxelles, mais on en ressent les secousses jusque dans nos foyers. Et c’est peut-être l’occasion de s’interroger sur les raisons de cet engouement.

Cet après-midi, sur le coup de 16h, les rues de Bruxelles étaient donc en partie au ralenti. Dans les entreprises, dans les cafés, au sein des appartements, de nombreux Bruxellois  adaptait leur emploi du temps pour suivre un match qualifié de crucial. Avec des cris et des crispations. Et toute la palette des émotions possibles, de l’angoisse à l’espoir, en passant par la colère, la jubilation, la résignation. C’est la magie d’un match de football : son dénouement est incertain. On entre dans le match avec d’autant plus de conviction que dans nos mondes aseptisés c’est l’un des derniers territoires où la surprise est possible à chaque instant.

En matière de surprise, Roberto Martinez avait d’ailleurs fait fort avant la rencontre en indiquant qu’Eden Hazard et Romelu Lukaku seraient sur le banc des remplaçants et que Kevin De Bruyne porterait le brassard de capitaine. Laisser deux de ses meilleurs atouts sur le banc de touche, mettre une gommette à celui qui, par ses déclarations, avait quand même crispé une partie de ses partenaires, c’est un coaching surprenant. Que beaucoup d’entre nous ont commenté. Ça, c’est la deuxième raison d’aimer le football : il ne faut pas énormément de connaissances pour pouvoir donner un avis qu’on pense autorisé. Disserter du budget de l’État, on peut toujours. Mais quand on entre dans le détail, ça finit souvent par coincer. En matière de football, tout le monde donne son avis sans complexe : nous sommes tous des Raymond-la-science en puissance.

Troisième raison d’aimer le football, son caractère fédérateur. Puisque tout le monde peut en parler, sans craindre d’être jugé, et que tout le monde ou presque a déjà regardé un match, c’est le sujet par excellence que vous pouvez lancer dans une conversation. Au bureau, entre amis, en famille : il y aura presque toujours moyen d’avoir une discussion autour du football. Mieux encore : vivre ensemble les mêmes joies ou la même tristesse  permet d’entrer dans la communauté, de se trouver une famille, de se sentir membre d’une nation.

L’incertitude de la compétition, son accessibilité, sa popularité, son caractère intégrateur ou inclusif. Voici donc de  bonnes raisons d’aimer le football. Et puis il y en a des mauvaises. Le nationalisme, ou sans aller jusque-là, une forme de chauvinisme, qui voudrait que l’équipe que l’on supporte doive absolument gagner. Cette adhésion à une équipe qui nous aveugle au point d’insulter l’arbitre ou l’adversaire, et qui nous fait trouver injuste la défaite alors qu’elle est sportivement indiscutable.

Ça, c’est le revers de la passion. Quand elle nous retire le discernement et nous fait glisser doucement vers le fanatisme. “Le football, c’est la continuation de la guerre par d’autres moyens” avait dit George Orwell. Et c’est vrai qu’il y a un peu de cela. Quand la France affronte l’Allemagne, ou la Belgique ou les Pays-Bas, il n’est pas rare de voir les rivalités ancestrales qu’on croyait appartenir au passé reprendre le dessus. Occupation du terrain, conquête du ballon, attaquant et défenseur, artilleur à la puissance de frappe hors normes, tactique et stratégie, tout dans le vocabulaire du football est là pour nous rappeler que nous sommes dans le domaine de l’affrontement.

Quand on s’affronte sur le terrain, on est censé ne pas s’affronter en dehors du terrain. C’est l’effet catharsis qu’on peut attribuer au football. Pour cela, il faut juste être capable de dominer ses émotions et les ramener à leur juste place.  On peut vibrer, soutenir, jouer, crier… Se prendre pour les joueurs ou l’entraîneur, en rêver… Mais se rappeler que les matchs ont bien lieu au Qatar, à 6 000 km. Pas dans les quartiers de Bruxelles. Et que notre place (sauf exception) reste dans les tribunes.

Un édito de Fabrice Grosfilley