La justice, pas la vengeance, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce lundi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito l’ouverture du procès des attentats de Bruxelles.

Au moins six mois d’audiences, des dizaines d’avocats et des centaines de policiers mobilisés, et un budget final qui se chiffrera en dizaine de millions. Le procès des attentats du 22 mars est entré dans le vif du sujet. Derrière le feuilleton judiciaire qui se met en place, c’est notre idée de la justice que nous sommes en train de défendre.

Ce matin, ce méga procès a tenu sa première audience de fond. Il s’agissait d’identifier l’ensemble des parties civiles, de faire prêter serment aux traducteurs, de briefer les jurés sur le rôle qui sera le leur. Ces jurés sont l’incarnation de notre démocratie dans cette affaire. C’est en notre nom à tous qu’ils délibéreront et décideront de condamner ou pas les accusés. C’est ainsi que fonctionne une cour d’assises dans nos démocraties, ou la justice n’est pas rendue au nom d’un dieu ou d’un souverain tout-puissant, mais au nom du peuple tout entier.

Ce matin, malgré tout, deux jurés se sont fait porter pâles, certificat médical à l’appui. Deux nouvelles défections, parmi les jurés suppléants. C’est inquiétant. Ils ne sont désormais plus que 34. Il faut impérativement qu’il en reste 12 à la fin du procès si on ne veut pas avoir l’obligation de tout recommencer.

Cette première séance aura surtout été marquée par la prise de parole de Mohamed Abrini, qui s’est plaint de ses conditions de détention. Fouille à nu, transfert avec un cagoulé sur la tête et de la musique forte. « Ça fait sept ans qu’on subit votre vengeance », a estimé Abrini, « les choses doivent changer sinon je garderai le silence jusqu’à la fin du procès ». Plusieurs avocats ont enchaîné dans le même registre, réclamant un allègement des conditions de détention et de transfert. L’un d’entre eux allant jusqu’à réclamer une suspension du procès.

Derrière les prévenus, on aura noté la présence de policiers cagoulés chargés de la sécurité. Il y en a un par accusé en salle d’audience, et d’autres en capacité d’intervenir à tout moment. Ajouter les couloirs, l’extérieur. En tout plus des 200 hommes qui seront mobilisés chaque jour. Un effort conséquent de la Zone de police de Bruxelles. Ce procès est gourmand en effectif, il a d’ailleurs été convenu de le suspendre à chaque fois qu’il y aura un sommet européen, rapportait ce matin le journal Le Soir.

Au frais de personnel, il faut ajouter l’installation de cette salle d’audience dans un bâtiment qui n’avait pas été pensé pour cela, il y en a pour 28 millions, mais aussi les frais de chauffage, la nourriture. Au minimum 35 millions d’euros. Ce sera le procès le plus cher jamais organisé en Belgique. Une somme à la hauteur de l’enjeu. Il s’agit ni plus de moins que de démontrer que nous rendons la justice dans de bonnes conditions. Avec un traitement équitable des accusés.

Ce matin, la Présidente de la cour d’assises a d’ailleurs tenu à le rappeler aux jurés. “On n’a pas de préjugé, pas d’a priori. On ne défend personne“, leur a-t-elle dit, rappelant que la cour travaillait à charge et à décharge, que les accusés s’exprimeraient en dernier et que les parties civiles n’ont pas la parole sur la peine, en cas de culpabilité, « car on n’est pas dans une société de vengeance ».

La justice n’est pas la vengeance contrairement à ce qu’a dit Mohamed Abrini. Ce rappel est salutaire. Il place ce procès à sa juste hauteur, qui est celle d’une justice qui se veut impartiale et qui juge chacun individuellement sur des faits clairement établis et après un débat contradictoire. Très loin de la logique terroriste qui veut qu’on tue au hasard, par surprise et pour terroriser une communauté. Ce principe de la violence aveugle qui à Bruxelles, il y a 7 ans, a fait 32 morts et 340 blessés.

■ Un édito de Fabrice Grosfilley