Du pain et surtout des jeux, l’édito de Fabrice Grosfilley

Ce mercredi, Fabrice Grosfilley évoque dans son édito l’engouement pour les compétitions de football, et de sport en général, sur fond d’inflation et de guerre en Ukraine.

Le roi, l’équipe de foot et certaines bières sont ce qui reste de commun à tous les Belges. Cette petite phrase d’Yves Leterme a déjà 18 ans. Elle a peut-être un peu vieilli, mais pas tant que ça. S’il y a une chose dont tous les médias parlent aujourd’hui, c’est effectivement de football.

Si vous avez regardé les journaux télévisés ou ouvert les gazettes ces derniers jours, vous avez donc été servis. Il y a Felice Mazzù qui quitte l’Union pour le Sporting d’Anderlecht. Cette version 2.0 de Bossemans et Coppenolle a des allures de Borgia et de Borgen, avec trahison, cocufiage et poursuite en justice. Nous avons une crispation diplomatique entre la France et le club de Liverpool : faux tickets, matraquage des supporters, encore plus grave que le Brexit. Il y a les Diables Rouges qui s’entraînent pour la Ligue des Nations. Eden Hazard qui pourrait faire un pas vers la prépension en équipe nationale alors qu’il est à peine à maturité quand il joue pour le Real de Madrid. Et rien que dans la journée d’aujourd’hui, Paul Pogba qui quitte Manchester, Mbaye Leye qui arrive à Zulte et Lukaku qui pourrait revenir à l’Inter.

La place que prend le football ces jours-ci dans les médias, dans les conversations, sur les réseaux sociaux, dans nos esprits, dit sans doute beaucoup de notre désir de légèreté. Après la Covid-19, la guerre en Ukraine, l’angoisse de l’inflation et l’augmentation des prix de l’énergie, nous serions ravis de regarder ailleurs, de parler d’autre chose, de nous fabriquer des héros. C’est Thibault Courtois qui gagne la Ligue des champions à lui tout seul. Sauf si vous regardez TF1 où l’homme du match était bien sûr Karim Benzema. Mais pourtant, cette hypnose collective ne change rien à la marche du monde. Il y a toujours la guerre en Ukraine, le prix du baril continue de monter et l’Afrique risque de se retrouver sans céréales. Sauf que ce n’est plus cela que les médias ont envie de vous montrer.

« Le foot, le foot, le foot, le foot, il n’y a plus que cela. La France est foutue. » C’est comme ça que Guy Bedos commençait l’un de ses sketchs en 1986. La même année, Pierre Desproges écrivait dans ses chroniques de la haine ordinaire la phrase suivante, entre autres amabilités, « quel sport est plus laid, plus balourd et moins gracieux que le foot ? » Que les comiques chargent le foot, c’était la règle dans ces années-là. Aujourd’hui, on ne s’y risquerait plus. C’est aussi un signe des temps.

Bon, j’exagère peut-être avec le football. On parle beaucoup de tennis aussi ces derniers jours. C’est l’effet Roland-Garros qui accompagne traditionnellement les révisions et les sessions d’examens des étudiants. Le choc Nadal Djokovic et une nouvelle polémique qui ne vous aura pas échappée. La programmation de matchs en soirée pour satisfaire aux appétits commerciaux d’un grand diffuseur américain. Car le sport n’est aujourd’hui rien sans son audience vidéo. Si cela passait jusqu’ici par de traditionnelles chaînes de TV, ce sont désormais les opérateurs de streaming qui s’arrachent les compétitions les plus populaires. Alors du pain et des jeux. L’expression date de l’antiquité pour dénoncer une forme de manipulation des masses par l’autorité politique. Divertir pour asservir. En 2022, c’est plus tout à fait vrai. Quand on divertit, il faut aussi et surtout que ça rapporte de l’argent.

Un édito de Fabrice Grosfilley