Vers la fin des baux commerciaux conditionnés à des quotas de boisson?

Une proposition d’ordonnance débattue au Parlement bruxellois fait débat entre les représentants du secteur Horeca et ceux des brasseurs et distributeurs de boissons.

Le texte, porté par Ludivine de Magnanville (MR), Pascal Smet (Vooruit) et Zakia Khattabi (Ecolo) vise à mettre un terme à une pratique datant de 1951 : la liaison entre la location d’un bien commercial et l’obligation de vendre certaines quantités de boissons, ou marques.

Aujourd’hui, de nombreux exploitants de cafés, bars ou restaurants qui ne disposent pas de la capacité financière pour louer un local commercial de manière indépendante se tournent vers des brasseurs ou distributeurs. En échange d’un loyer plutôt avantageux, ils s’engagent dans des contrats d’exclusivité, assortis souvent de quotas de vente à respecter. En cas de non-respect, le bail peut être résilié.

Pour certains commerçants, cette contrainte est devenue insoutenable. Des témoignages anonymes relayés par Moustique mettent en lumière la pression exercée. Jade (prénom d’emprunt), exploitante d’un établissement depuis 50 ans, confie : “C’est eux et personne d’autre, même s’ils sont 20 à 40% plus cher. Mon fût de Maes me coûte 171 euros contre 139 ailleurs. Je ronge mes marges pour conserver ma clientèle”. Elle évalue ses pertes annuelles à environ 40 000 euros à cause de ces obligations. Autre exemple, en décembre dernier, l’emblématique café Darigman, devenu au Derby, situé dans le centre de Bruxelles a fermé ses portes en raison des conditions imposées par l’entreprise HLS, un grossiste en boissons. Parmi elles, l’obligation de commander toutes les boissons auprès d’elle, ce qui ne correspondait pas aux valeurs de Martine Peeters, ancienne gérante du lieu.

Restaurer l’équilibre contractuel

La proposition d’ordonnance entend ainsi séparer juridiquement le bail commercial des obligations commerciales, et notamment les quotas de vente. Plus concrètement, un exploitant ne pourrait plus être expulsé parce qu’il n’a pas vendu assez de bières. Pour la Fédération Horeca Bruxelles, à travers à la voix de son président Mathieu Léonard, il s’agit d’un changement nécessaire. “Elle est indispensable à la survie économique, à la stabilité juridique et à l’équilibre contractuel dans notre secteur”, explique-t-il lors de la commission des affaires économiques.

Il poursuit : “Un bailleur ne pourra plus évincer un locataire Horeca uniquement parce qu’il n’a pas respecté une obligation commerciale accessoire, tel qu’un contrat d’approvisionnement imposé. Tant que les obligations locatives sont respectées, le commerce ne peut plus être menacé de fermeture pour des raisons commerciales”. 

“Début d’une spirale négative”

Les brasseurs et distributeurs de boissons expriment à l’inverse, un tout autre son de cloche. Selon eux, ce système permet justement à de nombreux petits exploitants de démarrer une activité malgré des moyens financiers limités. “1 établissement sur 5 qui a fait faillite appartient à l’Horeca. En 2023, si 100 établissements ont ouvert, 130 ont fermé la même année”, souligne Krishan Maugdal, directeur de la fédération des brasseurs.

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Selon lui, cette réforme serait le “début d’une spirale négative” et il en redoute les conséquences : “Désinvestissement, appauvrissement de l’offre, prolifération des chaînes ou encore généralisation des franchises. Ce n’est pas ce dont Bruxelles a besoin”. 

“Les accords entre les brasseurs et le secteur de l’Horeca reposent sur un équilibre fragile. Toute intervention extérieure, mal réfléchie, risquerait de compromettre cet équilibre”, alerte-t-il. Mais la Fédération Horeca Bruxelles se veut rassurante : “Il ne s’agit pas d’interdire l’exclusivité. Le texte ne remet pas en cause la licéité des accords d’exclusivité, reconnus en droit européen. Il vise uniquement à empêcher que leur non-respect puisse entraîner la résiliation du bail, ce qui constitue une disproportion manifeste”, argumente Mathieu Léonard. Il précise ainsi que la “liberté contractuelle reste intacte et que les partenaires peuvent toujours négocier des engagements commerciaux”, sans que “l’immobilier ne soit un instrument de chantage économique”. 

Si la proposition d’ordonnance est toujours en discussion, certains groupes politiques, tout en se montrant ouverts à l’idée d’une réforme, appellent à la prudence. Un vote est prévu le 9 juillet, et d’ici là, des amendements pourraient encore être introduits afin de trouver un compromis entre les différents acteurs concernés.

E.D – Photo : Belga

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