L’édito de Fabrice Grosfilley : pour les négos bruxelloises, pas de père Noël

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Cela aurait dû être une réunion des partis nationaux. C’est en tout cas ce qui avait été annoncé vendredi. A 8h30 ce lundi matin il n’y avait finalement que deux présidents de parti autour de la table. Georges-Louis-Bouchez, président du MR et puissance invitante, et Sophie Rohonyi, présidente de Défi, qui avait quand même pris la sage décision de venir accompagnée de Bernard Clerfayt et Jonathan De Patoul (respectivement ministre sortant et chef de groupe bruxellois) parce qu’on est jamais trop prudente dans un parti qui a les nerfs à fleur de peau, surtout quand c’est pour parler de l’institutionnel bruxellois (on notera toutefois que Fabian Maingain, théoriquement président de la Régionale bruxelloise était absent).

►Voir aussi||Invitation du MR à négocier : la présidente de Défi et les représentants bruxellois des partis étaient présents

Comme annoncé Paul Magnette n’avait pas jugé utile de faire doublon avec Ahmed Laaouej, Marie Lecoq et Samuel Cogolati trouvaient que Zakia Khattabi était la bonne personne pour représenter Ecolo (elle deviendra cheffe de groupe au parlement régional dès qu’elle ne sera plus ministre en affaires courantes) et ne s’étaient pas déplacés non plus et même Maxime Prévot (les Engagés) avait eu mieux à faire et avait envoyé son chef de cabinet Stéphane Nicolas aux cotés de Christophe De Beukelaer.

La réunion au sommet des partis francophones fut donc au final très bruxelloise, excepté Georges-Louis Bouchez. A-t-elle permis de débloquer la situation ? Non, même si on ne doit pas exclure que ce fut un jalon dans un mouvement en plusieurs étapes. Plusieurs participants doutaient avant même qu’elle ne commence qu’une telle séance plénière ne fasse bouger les lignes. Si on doit se dire des choses sensibles il vaut mieux le faire en bilatérale pour éviter les fuites et inspirer confiance soulignaient les uns. Si on veut bâtir une position francophone et avoir l’objectif d’aboutir à un texte commun il aurait fallu déposer une note de base, regrettaient les autres. Cette réunion n’avait le format d’aucune de ces deux options.

Pire, pour la plupart des participants ce fut l’occasion de mesurer l’agacement et la raideur de Georges-Louis Bouchez. Le président du MR a donc rejeté la responsabilité du blocage sur ses interlocuteurs, leur indiquant en substance que s’ils ne parvenaient à entrer dans le projet de majorité qui était sur la table, lui ne bloquerait pas les projets de réformes institutionnelles venant du fédéral sur le thème « ce n’est pas une menace mais… ». Le président du MR expliquant également à ses interlocuteurs que la région avait jusqu’ici été gérée par “des incapables” et qu’il était personnellement favorable à la fusion des zones de police et des communes et qu’il s’y opposait jusqu’ici uniquement pour rendre service à David Leisterh.

Dans un style plus souple David Leisterh aura également confirmé aux autres négociateurs qu’il ne souhaitait pas revenir sur la majorité formée dans le collège néerlandophone (avec la N-VA à bord donc), contribuant à fermer la discussion.

En face, chez les invités, chacun a donc répété sa position. Pour Zakia Khattabi, c’est non à une montée dans la majorité. Mais Ecolo accepte de participer à une réflexion sur les institutions bruxelloises depuis les bancs de l’opposition. Défi a encouragé MR-PS-Engagés à revenir à leur formule de juillet pour imposer une majorité francophone simple, indiquant que les amarantes pourraient y apporter leur soutien quand c’est nécessaire (un des membres de la délégation précisera quand même au passage que ce n’est pas au départ de la minorité néerlandophone qu’on doit bâtir la majorité régionale, mais l’inverse). Et le Parti socialiste, sans surprise, a confirmé qu’il refuserait de travailler avec la N-VA, ajoutant dans un communiqué de presse que les priorités étaient « sociales, économiques et budgétaires » et non institutionelles. Sous-entendu : on perd du temps, le communiqué d’Ahmed Laaouej précisant : « Il n’existe pas de majorité pour installer un gouvernement avec la N-VA, il faut donc changer de logiciel ».

Ce passage par l’échelon national n’avait en réalité que peu de chance de faire avancer le schmilblick. Pour élargir le périmètre d’une négociation et lier deux niveaux de pouvoir il faut que les interlocuteurs siègent dans les deux pour consentir un donnant-donnant … ce n’est pas le cas du PS, d’Ecolo et de Défi qui ne rentreront en aucun cas dans l’Arizona. Pire, vouloir les attirer dans une négociation institutionnelle qui risque fort d’être au désavantage de Bruxelles c’est leur en faire porter une part de responsabilité. Le piège est trop visible : s’il doit y avoir une fusion des communes et un définancement de Bruxelles, que le MR et les engagés l’assument seuls, ont du se dire certains participants.

A l’avant-veille de Noël il n’y a donc pas eu de miracle et personne n’a fait de cadeau à personne. A ce stade le MR semble à court d’arguments, Georges-Louis Bouchez, parfait père fouettard, glissera  même à ses interlocuteurs qu’il « ne pourra pas utiliser la violence  pour les convaincre puisqu’on est en démocratie »…

Pour se sortir de l’ornière les réformateurs ont pourtant deux pistes sur la table, mais ils se refusent à les emprunter. La première consiste à rappeler le Parti socialiste, ce qui implique de faire sortir la N-VA. Cette option a clairement été rendue possible par la sortie d’Ans Persoons ( Vooruit) la semaine dernière (c’est la piste du 4e secrétaire d’Etat qui permettrait de lancer des négociations avec Benjamine Dalle) mais les libéraux font semblant de ne pas avoir entendu l’appel. Le MR semble s’y refuser pour des questions idéologiques et d’opportunité. Idéologique car il lui est plus confortable de travailler avec la N-VA, qui avec l’Open VLD tendance Frédéric De Gucht, tirera la majorité régionale clairement à droite, minorisant le PS, Vooruit et Groen sur les questions sociales. Opportunité aussi : rejeter la N-VA dans l’opposition ne serait pas malin-malin alors qu’on est en pleine négociation avec Bart De Wever au niveau fédéral.

La seconde piste serait de faire monter Défi et Ecolo dans une majorité régionale. Pour cela il faudra convaincre les écologistes qui pour l’instant ne veulent pas en entendre parler. Cela signifie des concessions majeures en mobilité et en environnement, et l’installation d’un axe Ecolo-Groen au sein de l’éxécutif régional. L’électorat bleu risque de ne pas s’y retrouver, et la direction du parti n’en a pas vraiment envie non plus. Du coté vert on est en tout cas décidé à ne pas brader les prix. La dernière fois que les écologistes ont rendu un aussi grand service aux libéraux c’était le 13 août 2020, avec un communiqué commun MR-Open VLd-Ecolo-Groen qui allait torpiller les négociations menées par le tandem Magnette-De Wever. L’initiative allait permettre la formation du gouvernement De Croo et remettre Georges-Louis Bouchez en selle… qui deviendra le grand pourfendeur d’Ecolo. Jean-Marc Nollet le paiera électoralement au prix fort.

A ne vouloir aucune de ces deux pistes, le MR est condamné à l’échec. Sauf à imaginer qu’il suive la suggestion de Défi, avec un gouvernement qui s’appuierait sur une majorité francophone uniquement (mais il faudra dans ce cas, quand même se rabibocher avec Ahmed Laaouej, et aussi expliquer ce passage en force aux partenaires néerlandophones au fédéral). C’est comme si le MR découvrait la complexité du scrutin proportionnel : être numéro 1 vous offre les honneurs et la visibilité de la conduite d’une majorité, et les ennuis qui vont avec. Arriver en deuxième ou troisième position vous donne la possibilité de peser sur le contenu de la majorité en question. Vouloir le gouvernement le plus à droite possible sans faire de concessions vers Ecolo ou le PS n’est mathématiquement pas possible.

Le virage ne sera peut-être pas facile à négocier et il pourrait être tentant d’attendre que les négociations fédérales soient achevées. Commencer par discuter de l’institutionnel sera peut-être un moyen de démarrer des discussions qui ramèneraient un peu de confiance et nous sortiraient de l’immobilisme (et enverrait aussi un signal aux néerlandophones comme à l’opinion publique). Mais qu’on ne vienne pas se plaindre si les agences de notation ont été les plus rapides.