L’édito de Fabrice Grosfilley : dans le mur

Coincé. Coincé de partout. Comme si l’on était au cœur d’un labyrinthe avec le sentiment de tourner en rond depuis des mois, sans aucune perspective de trouver la sortie. Voici l’impression que donnent les négociations bruxelloises ce matin. Hier soir, nos collègues de La Libre Belgique avaient pourtant publié un article indiquant que David Leisterh tentait d’ouvrir une négociation avec DéFI et Ecolo pour pallier le retrait du Parti Socialiste. Sur le papier, cela fonctionnait. À eux deux, Ecolo et DéFI pèsent 12 députés. Ajoutés aux 21 du Mouvement Réformateur et aux 8 des Engagés, cela fait 41. Le compte est bon. Mais ça, c’est sur le papier. Dans la vraie vie, Ecolo n’a pas l’intention de rejoindre une majorité. Zakia Khattabi l’avait affirmé sur notre antenne la semaine dernière. Les écologistes sont ouverts à participer à une réflexion sur la réforme des institutions bruxelloises. Ils sont fermés, en revanche, à l’idée de participer à une majorité régionale. “Le signal de l’électeur n’est pas celui-là. C’est non, et ce sera non, quel que soit le partenaire qui nous sollicite”, précisaient les écologistes hier soir. Fin de non-recevoir : une majorité alternative avec les écologistes n’est donc pas possible.

En vérité, cette piste, associant DéFI et les écologistes, n’a jamais été réellement ouverte. Les écologistes ont bien rencontré David Leisterh, c’est vrai, mais c’était vendredi dernier. Il n’y a eu qu’une seule rencontre au sommet, et le message était clairement une fin de non-recevoir. Pas de participation à une majorité, pas de soutien à l’installation d’un gouvernement minoritaire non plus. Cela n’empêche pas les parlementaires libéraux de tenter de faire pression sur leurs collègues écologistes, ou de laisser croire que la piste n’est pas définitivement enterrée. Tant qu’une piste n’est pas clairement fermée aux yeux des négociateurs ou de l’opinion publique, on peut gagner du temps. Un temps qui peut être mis à profit pour tenter d’en chercher une autre.

Ce matin, il serait beaucoup trop facile de faire porter le chapeau de cette négociation, qui n’en est plus une, à David Leisterh. Le formateur francophone avait réussi, en juillet, à engranger un préaccord côté francophone avec le MR, le PS et Les Engagés. C’est ensuite que les choses ont dérapé, quand il s’est avéré qu’une majorité néerlandophone n’arrivait pas à se mettre en place et que la seule solution trouvée a été d’associer la N-VA, ce qui a provoqué le départ du Parti Socialiste.

Alors oui, on peut critiquer l’intervention des présidents de partis, la concomitance des élections communales qui n’ont pas simplifié les choses, ou encore le refus obstiné du CD&V d’entrer en majorité. On peut aussi souligner que les francophones, en prolongeant unilatéralement la LEZ, ont compliqué les relations avec les partis flamands, en particulier avec Groen. Et qu’ils ne peuvent pas, en retour, exiger aujourd’hui qu’on les traite avec plus de compassion communautaire qu’ils n’en ont eu pour les néerlandophones il y a quelques mois. On peut noter encore que le PS bruxellois avait bien prévenu qu’il ne voulait pas gouverner avec la N-VA, et que ses avertissements n’ont pas été entendus. On peut aligner tous ces constats, et d’autres encore. Cela ne nous aidera pas à franchir le mur.

Au pied du mur, il faut aujourd’hui faire le constat que toutes les pistes ou presque ont été étudiées. Que les états-majors sont lassés ou épuisés et que la frustration de ne pas pouvoir aboutir s’accompagne désormais de relations interpersonnelles délétères. Voici le type de commentaire qui s’échangent désormais en coulisse : Ahmed Laaouej, critiqué pour son jusqu’au-boutisme et son incapacité à faire des concessions. David Leisterh, mis en cause pour son manque de leadership et sa soumission à son président de parti. Christophe De Beukelaere, trop en retrait pour jouer les intermédiaires. Elke Van den Brandt, brouillonne et pas assez lisible. Ans Persoons, pas assez claire. Frédéric De Gucht, rigide et inutilement agressif. Les négociateurs sont en train de se dégoûter les uns des autres. Plus personne n’a envie de travailler avec personne.

Faut-il espérer que quelqu’un cède ? Qu’Ecolo change d’avis ? Que le PS arrive à cohabiter avec la N-VA ? Que le CD&V trouve finalement un intérêt à entrer dans le gouvernement ? Ce vendredi matin, on a du mal à y croire. La formation du prochain gouvernement bruxellois n’est pas “au pied du mur”, elle est “dans le mur”. La priorité maintenant est de préparer un budget. Que les partis essayent de s’entendre là-dessus, à défaut de dépasser les blocages politiques et institutionnels qui nous empêchent d’avoir un gouvernement. C’est sans doute un vœu pieux. On ne croit pas réellement au miracle de Noël en politique. On va attendre 2025 pour que tout le monde se calme et reparte d’un bon pied.

Fabrice Grosfilley