L’édito de Fabrice Grosfilley : Inaction climatique

Fabrice Grosfilley - Photo Couverture

Sommes-nous en train de renoncer à agir sur le climat ? Sommes-nous tout doucement en train d’accepter la perspective d’une élévation des températures supérieure à 2 degrés, avec son lot de canicules et de tempêtes meurtrières, et le risque d’une réaction en chaîne (les mécanismes de “basculement”)  dont même les scientifiques les plus pointus peinent à prévoir les conséquences ? L’humanité privilégiera-t-elle un confort immédiat à la perspective de garder une planète habitable pour les générations futures ?

Il y a quelques années, ces questions ne se posaient pas vraiment en Europe occidentale. Les marches pour le climat s’enchaînaient, les jeunes générations mettaient la pression sur leurs aînés, les partis écologistes avaient le vent en poupe, et les politiques prenaient des mesures pour encourager, voire imposer, l’isolation des bâtiments, le passage à la voiture électrique et une production d’énergie renouvelable (éolienne ou photovoltaïque) capable de couvrir 100 % de nos besoins.  Il fallait avoir une “conscience climatique”, et la nécessité d’agir n’était plus sérieusement contestée. Cinq ou dix ans plus tard, force est de constater que nous avons changé de monde. L’opinion publique a d’autres préoccupations, et la lutte contre le réchauffement climatique n’est plus l’objectif numéro un de nos dirigeants.

La Conférence des parties  (COP29) à Bakou illustre ce changement de priorité. On y a senti une nette frilosité des pays occidentaux, qui consentent finalement à promettre le déblocage de 300 milliards de dollars au bénéfice des pays en développement d’ici 2035. Soyons précis : il s’agit d’une promesse, et nous avons vu dans le passé que ces engagements sont rarement tenus. Alors que, pour ces pays du Sud, il aurait fallu 1 300 milliards de dollars, soit quatre fois plus. Les ONG de défense de l’environnement ne ménagent pas leurs critiques. Le WWF dénonce un accord “loin de répondre aux besoins des pays en développement, un coup dur pour l’action climatique”, tandis qu’Oxfam parle d’un texte “dangereux” et d’une “escroquerie pour les pays du Sud global (…) un véritable désastre pour la planète et les communautés inondées, affamées et déplacées par les effets du dérèglement climatique”. Oxfam fustige également “un mélange hétéroclite de prêts et d’investissements privés – un système de Ponzi que les vautours du capital-investissement vont se faire une joie d’exploiter”.

Ces critiques sont virulentes. Outre la faiblesse des investissements, le maintien des  fameux crédits carbone – ces droits à polluer sous forme de certificats qu’États occidentaux et grands groupes industriels s’échangent ou revendent – laisse perplexe. On ne s’interdit pas d’émettre du CO2, on paye pour avoir le droit de le faire. Et l’on estime que cette somme, ou une partie de cette somme, doit revenir aux pays du Sud. Pour le dire clairement : on n’enraye pas la diffusion des gaz à effet de serre, mais on s’achète une bonne conscience en finançant des politiques d’adaptation pour ces pays.

L’adaptation aux changements climatiques signifie faire face à la montée des eaux en déplaçant des villages ou des villes, gérer des inondations de plus en plus violentes, lutter contre la sécheresse et la famine, ou encore accueillir des populations déplacées. Mais, en parallèle, nous continuerons à produire du CO2. Une petite satisfaction, malgré tout dans cet accord de Bakou : le principe d’une sortie à terme des énergies fossiles, acté lors de la COP28 à Dubaï, reste maintenu. “À terme” ne veut pas dire grand-chose, mais le fait que ce principe figure encore dans les textes – alors que certains États voulaient le retirer – est déjà ça.

Pour ceux qui sont sensibles à la question climatique, la COP29 reste néanmoins une déception. Elle est surtout le révélateur d’une gouvernance mondiale qui marque le pas. De compromis en compromis, de COP en COP, on sent bien que l’esprit des accords de Paris s’essouffle. Les 1,5 degrés de réchauffement sont déjà atteints. Nous sommes en route vers les 2 degrés.

L’élection de Donald Trump aux États-Unis laisse présager, pour les quatre années à venir, une politique américaine qui ignorera les enjeux climatiques. La politique européenne, autrefois à l’avant-garde dans les négociations internationales et souvent alliée des pays du Sud, revoit désormais ses ambitions à la baisse. Les partis d’extrême droite ou de droite populiste en font même un argument électoral : “Il ne faut rien faire pour le climat“, disent-ils. Soit parce qu’ils s’enferment dans une forme de déni ou de climato-scepticisme nourri par de sombres fake news, en refusant d’écouter les alarmes scientifiques. Soit parce qu’ils se replient dans un égoïsme électoralement rentable.  À l’heure où l’on craint pour notre sécurité avec la guerre en Ukraine, pour notre pouvoir d’achat ou pour l’avenir de nos pensions, on évite de demander aux citoyens des efforts qu’ils n’ont pas envie de fournir. Fermons les yeux et parlons d’autre chose. C’est un raisonnement à très court terme, mais il est doucement en train de s’imposer.