L’édito de Fabrice Grosfilley : faut-il avoir peur du PTB ?

Le PTB est-il un parti comme un autre ? C’est la question que l’on peut se poser, que l’on doit se poser, et que ceux qui ont décidé de négocier avec lui se sont forcément posée. Doit-on considérer que le PTB est infréquentable, et si oui, au nom de quels principes ? Peut-on, à l’inverse, estimer que ce parti, même si on n’apprécie pas son programme ou sa manière de faire de la politique, fait partie du jeu démocratique et peut, comme tous les autres, être appelé à participer à une négociation et entrer dans une coalition ? Rappelons-nous qu’il y a six ans déjà, des discussions avaient eu lieu avec le PTB, notamment à Molenbeek. Des contacts ont aussi eu lieu en Wallonie, au niveau communal, mais aussi au niveau régional en 2019, lorsqu’Elio Di Rupo cherchait à constituer une nouvelle majorité. Cela n’avait pas fait énormément de bruit à l’époque, car on sentait bien que ces négociations étaient purement formelles. Elles relevaient de la tactique : montrer qu’on ne rejetait pas délibérément ce parti et ses électeurs, qu’ils n’étaient pas mis au ban du monde démocratique, car cela aurait eu pour effet de renforcer encore le poids d’une rhétorique anti-système dont raffolent les mouvements populistes.

Cinq ou six ans plus tard, la donne n’est plus la même. Le PTB s’est enraciné dans le paysage ; ce n’est plus un mouvement sporadique dont on peut penser qu’il va se dégonfler et disparaître demain. Et comme le PTB est désormais en train d’entrer dans des majorités – c’est fait pour Mons et Forest, c’est également quasiment fait pour Molenbeek où un acte de présentation de Catherine Moureaux a été signé, et ce serait peut-être faisable demain aussi à Schaerbeek –, la donne n’est plus tout à fait la même. Le PTB est désormais à l’épreuve du pouvoir. C’est normal, et même souhaitable. La vocation d’un parti politique est de participer à la gestion de la cité, et de démontrer ce qu’il arrive, ou non, à faire une fois en responsabilité. Puisque l’électeur le souhaite, et qu’il fait confiance à ce parti en lui accordant ses suffrages, il faut donc que l’électeur sache ce que vaut le PTB. Lui refuser l’accès au pouvoir serait le condamner à une surenchère populiste qui n’apporte rien à la démocratie.

Faut-il établir un parallèle entre l’extrême droite et l’extrême gauche, et estimer qu’il faille aussi un cordon sanitaire contre l’extrême gauche ? Cette idée-là est défendue avec beaucoup de virulence par le Mouvement réformateur. Mais en réalité, ce n’est pas du tout la même chose. Le cordon sanitaire vise des partis qui stigmatisent certaines catégories de populations en fonction de leur origine, de leur appartenance à un groupe social ou de leur orientation sexuelle, par exemple. Ce n’est pas le cas de l’extrême gauche, même si on a parfaitement le droit de ne pas être d’accord avec son programme et d’estimer que les références marxistes, voire maoïstes, du PTB doivent inciter à la prudence. D’un point de vue démocratique, on pourrait dire qu’il est sans doute souhaitable de ne pas s’associer avec l’extrême gauche quand on combat son projet de société, mais qu’il est en revanche interdit de s’associer à l’extrême droite. On rappellera par ailleurs que le racisme est un délit. Et c’est d’ailleurs pour cette raison – parce qu’il a été condamné en justice – que le Vlaams Blok a dû changer de nom et est devenu le Vlaams Belang. Cette controverse sur la mise ou non de l’extrême droite et de l’extrême gauche sur un pied d’égalité est en elle-même un débat politique. On peut donc en discuter pendant longtemps, avec passion, avec virulence.

Concentrons-nous sur des faits. Il y a un cordon sanitaire vis-à-vis de l’extrême droite, il existe, il est rappelé dans une charte de la démocratie que tous les partis francophones ont signée. Il n’y a pas de cordon sanitaire contre l’extrême gauche. C’est peut-être un souhait de certains partis, mais il n’y a jamais eu de consensus sur ce point. Laisser entendre le contraire relève d’une communication trompeuse. Dans le même registre, la publication d’une image générée par intelligence artificielle où l’on voit la maison communale de Forest affublée d’un drapeau rouge avec faucille et marteau, avec un loup au premier plan, relève d’une dénonciation particulièrement offensive, voire offensante (à ce qu’on sache le PTB n’aura pas le fauteuil du bourgmestre). Une image digne de la propagande des années 1930, où l’on agitait la peur et versait dans la caricature de manière systématique.

Hier après-midi, on a donc pu entendre un certain nombre de réactions hostiles à la conclusion d’un accord incluant le PTB. “Les Forestois ne sont pas des rats de laboratoire” pour Défi, “les socialistes sont prêts à tout pour rester au pouvoir” (…) cela ne restera pas sans conséquence au niveau bruxellois ” pour le MR. La menace à peine voilée serait donc que le MR impose des mesures de rétorsion au niveau régional parce qu’il a été écarté à Forest. Menace qui s’appuierait donc sur le principe d’un cordon sanitaire qui n’existe pas. Menace qui, si elle était mise à exécution, aurait pour effet,  soit de paralyser la région bruxelloise, la privant de gouvernement de plein exercice pour une période plus ou moins longue, soit d’inciter le PS à chercher d’autres partenaires et de le pousser ainsi à se rapprocher du PTB. Ce n’est qu’une menace. Mais on doit quand même, en tant qu’observateurs, signaler que la Région Bruxelloise n’aurait rien à y gagner. Parce qu’imaginer la région bruxelloise sans gouvernement, ou gouvernée par le PTB, c’est la condamner à être isolée, à l’écart, peut-être en opposition par rapport au niveau fédéral. Il n’y aura probablement pas beaucoup de Bruxellois pour penser que c’est une bonne idée. Associer le PTB dans un rôle minoritaire dans les communes, c’est une chose. Lui confier un ministère à la région bruxelloise en est une autre. Il serait sans doute préférable que tout le monde garde le sens de la mesure et qu’on évite la surenchère.

Fabrice Grosfilley