L’édito de Fabrice Grosfilley : l’élection qui prend le pouls de la planète

C’est l’élection de tous les superlatifs : 244 millions d’électeurs mobilisés, dont près de 80 millions se sont déjà exprimés en votant de manière anticipée ou par correspondance. 538 grands électeurs à désigner, mais aussi 435 sièges de député, pour la Chambre des représentants, un tiers du Sénat américain, 34 sièges à renouveler. Et un résultat final qui risque de se jouer à quelques dizaines de milliers de voix seulement. Alors oui, depuis Bruxelles, mais aussi depuis Paris, Berlin, Stockholm, Kiev, Gaza, Bamako, Kinshasa, Hanoï, Lima, tout le monde a les yeux tournés vers les États-Unis. Tout le monde retient son souffle. L’Amérique de Donald Trump et l’Amérique de Kamala Harris, ce n’est pas la même chose.

D’un côté, l’actuelle vice-présidente démocrate, qui en juillet a remplacé Joe Biden dont la campagne patinait. Kamala Harris, 60 ans, peut devenir mardi la première femme à diriger la plus grande puissance économique et militaire de la planète. Avec le handicap d’être entrée tardivement sur le champ de bataille, elle a redonné du tonus au camp démocrate grâce à un débat télévisé qui a confirmé qu’elle avait la stature présidentielle, mais elle souffre d’un déficit global de notoriété.

Face à elle, l’ancien président Donald Trump, 78 ans, auteur d’un retour politique spectaculaire après avoir quitté la Maison Blanche en 2021. Un candidat miraculé dans tous les sens du terme. Il a échappé à deux procédures de destitution, mais a été condamné en justice. Il a également survécu à deux tentatives d’assassinat, dont une particulièrement spectaculaire en plein meeting, avec une balle qui lui a effleuré l’oreille.” Ça fait quatre ans que l’on attend ça. Quatre ans ! “, a lancé hier soir Donald Trump lors de son avant-dernier meeting à Pittsburgh, en Pennsylvanie, avant de se lancer dans de nouvelles diatribes contre les migrants, les médias et les démocrates, qu’il accuse de vouloir truquer les élections.

“L’élan est de notre côté“, affirmait de son côté Kamala Harris, elle aussi à Pittsburgh, après avoir participé à une séance de porte-à-porte et avant un dernier meeting à Philadelphie, la ville qui a vu naître la démocratie américaine. Quelques heures plus tard, c’est l’animatrice TV Oprah Winfrey qui lui apportait son soutien.

Dans cette campagne, on ne compte plus les insultes, les mensonges, les manipulations grossières… des migrants qui mangeraient les chats et les chiens, une élection qui serait forcément truquée s’il perdait. Donald Trump est le candidat de toutes les outrances. Au-delà de ses manières sans foi ni loi, qui nous interpellent et nous semblent tellement indignes d’un chef d’État, c’est le programme de Donald Trump, et celui de Kamala Harris, qui doivent aussi nous questionner.

Pour Trump, c’est assez clair : ce serait le retour à l’isolationnisme. Une Amérique qui se replierait sur elle-même et cesserait de s’occuper du reste du monde. Il revient de ce point de vue aux fondamentaux du courant républicain à travers l’histoire. Pour Kamala Harris, c’est moins évident, tant la campagne électorale se joue sur des enjeux de politique intérieure. On peut imaginer que l’Amérique de Kamala Harris serait plus impliquée dans l’OTAN et dans la défense de l’Europe que l’Amérique de Trump, ce qui ne serait pas sans conséquence sur ce qui se passe en Ukraine. L’un et l’autre n’ont pas été très précis sur leur attitude vis-à-vis du Proche-Orient. “Avec moi, il n’y aurait pas de guerre”, fanfaronne Trump. “Je m’engage à tout faire pour obtenir la paix au Proche-Orient”, a dit un peu tardivement Kamala Harris. Si les États-Unis ne sont plus le gendarme du monde (ou ne veulent plus l’être) et qu’ils doivent composer avec la Chine, la Russie, l’Inde et d’autres puissances émergentes, leur voix porte toujours. Ce qui fait de ces élections un enjeu pour l’Amérique, mais aussi pour le monde.

Hier soir, les services de renseignement américains ont accusé la Russie d’être “activement” impliquée dans des opérations de désinformation dans les “Swing States”, avec des tentatives de déstabilisation qui pourraient encourager le passage à la violence de certains Américains. Notamment avec une vidéo censée montrer un immigré haïtien possédant plusieurs cartes d’identité de Géorgie et prétendant avoir voté plusieurs fois. Le FBI et l’agence américaine de cybersécurité ont confirmé que “des agents d’influence russes avaient fabriqué de toute pièce” cette vidéo.

Il y a dans cette affaire comme un résumé des enjeux qui attendent les États-Unis et la planète. La peur du migrant, utilisée comme un repoussoir, la manipulation de l’opinion publique par des informations bidon, la caisse de résonance sans filtre des réseaux sociaux, l’ingérence étrangère pour déstabiliser un État, le repli sur soi ou la poursuite d’un monde interconnecté. Et ce constat qui nous serre la gorge : les démocraties, dont on a depuis deux cents ans pensé qu’elles étaient la forme la plus aboutie et la plus juste de l’organisation politique, se révèlent fragiles. Le danger peut venir aussi bien de l’extérieur que de l’intérieur. C’est vrai pour les États-Unis. Cela l’est pour nos États européens également.

Fabrice Grosfilley