L’édito de Fabrice Grosfilley : ne pas s’emballer

Surtout, ne pas s’emballer. C’était un peu le mot d’ordre hier au sein des salariés de l’usine Audi Forest, après la divulgation dans la presse de deux projets de reprise. L’un par le constructeur de véhicules électriques chinois Nio, l’autre par le groupe D’Ieteren, importateur de longue date des marques du groupe Volkswagen, qui voudrait y installer un site de reconditionnement de voitures d’occasion. Pas d’emballement parce que rien n’est fait. Montrer un intérêt n’engage à rien. Pour que l’un de ces projets aboutisse, il faudra d’abord se mettre d’accord avec le groupe Volkswagen, et on ne sait pas, au final, combien d’emplois pourraient être repris dans le cadre de ces nouvelles activités.

Commençons par Nio, constructeur de voitures électriques. L’intérêt pour cette firme serait donc de mettre un pied sur le continent européen, où elle a l’intention de commercialiser des véhicules dans les années à venir. Elle vient de commencer par les pays scandinaves et par l’Allemagne, et le reste de l’Union européenne devrait suivre avant de s’attaquer sans doute au marché américain. Assembler en Europe des véhicules destinés au marché permet d’économiser sur les coûts de transport, mais aussi de contourner les droits de douane que l’UE impose aux véhicules chinois. Nio est donc dans une logique inverse de celle du groupe Volkswagen, qui délocalise ses usines à l’extérieur du continent européen, avec un projet de construction de batteries aux États-Unis ou la production de Porsche Cayenne en Malaisie, par exemple. Nio est un constructeur chinois à la base, c’est vrai, mais la firme a déjà des centres de recherche en Europe, et on notera que parmi ses actionnaires se trouvent désormais des fonds d’investissement américains, qui détiennent donc une part du capital, aux côtés par exemple de Lenovo, grand fabricant chinois d’ordinateurs. Le capitalisme n’a plus de frontières, mais la question agite quand même les observateurs : permettre à une entreprise chinoise de produire sur le sol européen, c’est lui permettre de devenir un peu européenne… même si le centre de décision restera en Chine et qu’une partie des composants seront indubitablement chinois. C’est peut-être faire entrer le loup dans la bergerie et accélérer le déclin de l’empire européen.

Autre projet, donc, celui de D’Ieteren. Là, on est plus dans la rénovation que dans la construction. Il s’agirait d’installer une usine de reconditionnement. L’idée avec les voitures électriques, c’est qu’elles puissent avoir une durée de vie plus longue, mais qu’il faudra pouvoir changer la batterie et d’autres composants pour les remettre sur le marché. D’après le journal l”Echo ce matin, ce n’est pas D’Ieteren qui investirait directement dans une activité de ce type, mais l’importateur pourrait devenir un gros client de cette activité. On parle ici d’environ 500 emplois sur le site de Forest.

Chacun de ces deux projets présente des avantages et des inconvénients. Avec Nio, on est dans la production de véhicules électriques ; on peut imaginer que le profil des ouvriers d’Audi serait assez proche de celui que le constructeur chinois pourrait employer demain ou après-demain. Une usine de production pourrait aussi avoir l’avantage d’occuper une grande partie, voire la totalité des chaînes de montage qui existent aujourd’hui. Pour un projet de reconditionnement, les profils ne sont sans doute pas tout à fait les mêmes. Il est probable que l’on n’aurait pas besoin de tout l’espace. Il faudrait donc combiner ce projet avec d’autres pour reconvertir la plus grande partie du site.

Ce projet de reconditionnement a tout de même un atout que les Chinois n’ont pas. C’est le nom de D’Ieteren, firme qui est depuis très longtemps associée à Volkswagen ou Audi. Le vendeur et  l’éventuel repreneur se connaissent donc bien, et surtout, l’usine resterait “dans la famille”. Alors qu’avec un constructeur chinois, on est dans un tout autre registre. VW serait là amené à négocier avec un concurrent, un autre constructeur automobile qui a pour ambition de lui prendre des parts de marché. Ce n’est pas le genre de négociation dans laquelle vous avez envie de rentrer avec le sourire aux lèvres et le cœur léger. Parce qu’il ne faut pas oublier une chose : le site de Forest appartient au groupe Volkswagen. C’est donc Volkswagen qui choisira à qui il veut vendre. Encaisser un gros chèque, c’est sympathique, mais ne pas faire la courte échelle à vos ennemis, c’est stratégique. Il n’est pas du tout certain que le groupe vendra au plus offrant, ni à celui qui sauvera le plus d’emplois.

Fabrice Grosfilley