L’édito de Fabrice Grosfilley : Paris-Bruxelles
Peut-on établir un parallèle entre ce qui se passe sur la scène politique française et les négociations pour former un gouvernement en Belgique ? Les deux pays, si proches par la géographie et par la langue, vivent-ils des expériences comparables ? Peuvent-ils, l’un et l’autre, tirer des leçons de ce qui se passe chez le voisin ? Y a-t-il des similitudes, des recettes positives que l’on pourrait appliquer chez nous, ou des conseils avisés que l’on pourrait prodiguer ? Depuis quelques jours ou quelques semaines, la tentation d’établir des correspondances est grande, aussi bien dans la presse française que dans la presse belge. Pourtant, on le sait bien, en matière de politique, les systèmes belge et français sont très peu similaires. Une monarchie d’un côté, une république de l’autre. Scrutin majoritaire à deux tours contre élections à la proportionnelle. Un État fédéral ici, un pays hyper-centralisé là-bas. Des communautés qui évoluent dans des univers culturels distincts et qui s’éloignent progressivement l’une de l’autre en Belgique ; une langue française qui a du mal à tolérer les idiomes régionaux et les tentatives d’autonomie régulièrement contrées, parfois avec la manière forte, que ce soit en Corse, au Pays basque ou même en Nouvelle-Calédonie. Même le statut de la capitale n’est pas le même. Bruxelles, capitale parce qu’il en faut bien une, où la Flandre a mis ses institutions mais qu’elle n’aime pas vraiment, tandis que les Wallons ont préféré Namur. Paris, la ville lumière où tout se décide mais qui regarde de haut tout ce qui n’est pas parisien. Liège ou Anvers, qui n’ont pas de complexes en Belgique, alors qu’en France, le rapport entre la région parisienne et le reste du pays tourne à l’incompréhension quand ce n’est pas de l’exaspération.
Donc, les deux pays n’ont rien à voir. Mais depuis le 7 juillet et le résultat calamiteux du camp présidentiel aux élections législatives, pourtant convoquées par le président Macron, le parallèle s’impose à nous. La France a du mal à former un nouveau gouvernement et, du coup, elle regarde chez nous. Ce n’est pas forcément flatteur, comme si, dans la tête des commentateurs français, la notion de désordre politique devait forcément rimer avec petite Belgique. Premier conseil à donner aux élites françaises, si toutefois elles acceptent d’écouter des conseils : pour former un gouvernement, il faut d’abord trouver une majorité parlementaire. Il ne suffit pas de dire qu’on est le premier, il faut aussi savoir composer avec ses concurrents pour monter une coalition. Depuis que la Ve République existe, cela fait près de 80 ans, les Français ont perdu le savoir-faire qui permet de bâtir des coalitions gouvernementales. Pour négocier, on ne crie pas sur les estrades “c’est moi le Premier ministre et personne d’autre”, on ne dit pas “j’appliquerai mon programme, rien que mon programme, et je refuse de prendre en compte le programme des autres“. Rien ne va dans les déclarations de ces dernières semaines du côté français. On alimente le blocage, on le renforce au lieu de chercher à le dépasser. On s’interroge évidemment sur le rôle du président de la République, Emmanuel Macron, à la fois juge et partie. Il convoque des élections, constate la déroute de son camp, mais se refuse à laisser les gagnants accéder au pouvoir, prétendant toujours être à la manœuvre et décider de la politique qui sera menée. Il y a peut-être une chose que Macron aura réussi à démontrer dans son second quinquennat : le rôle du roi des Belges dans la formation des gouvernements est utile et gage de stabilité. Mais être au-dessus de la mêlée, ça ne s’improvise pas, et n’est pas monarque qui veut.
Mais tant qu’à faire des comparaisons, il faut peut-être aussi regarder dans l’autre sens. En quoi les Français peuvent-ils éclairer ou inspirer les Belges ? On le fera avec discernement. D’abord parce que nos paysages politiques (au pluriel) n’évoluent pas de la même manière ni à la même vitesse. Les négociations sont achevées en Wallonie, plutôt bien emmanchées en Flandre, en suspens pour le fédéral, complètement bloquées en région bruxelloise. Ce qui est vrai pour un niveau de pouvoir ne l’est pas pour l’autre ; la Belgique restera toujours plus compliquée que la France. Mais il y a une chose que l’on peut peut-être retenir : l’obstination d’Emmanuel Macron à vouloir écarter des familles politiques qui ont pourtant gagné les élections, et à préférer discuter avec des formations qui ont fait un moins bon score mais défendent des idées plus proches des siennes. C’est finalement peut-être ce qui est en train de se passer en Région bruxelloise, où les négociateurs et leurs alliés s’entêtent à vouloir compter sur un parti sanctionné par les électeurs, qui répète urbi et orbi qu’il n’est pas disposé à négocier… alors que d’autres formations, qui ont fait un meilleur score, sont sciemment laissées de côté. Ça s’appelle le fait du prince. Que ce fait du prince bloque les négociations bruxelloises nous rapproche davantage de la culture française que des traditionnels compromis à la belge.