L’édito de Fabrice Grosfilley : décret paysage, fin de partie ?
C’est la fin de la saga, du moins temporairement. Vers 6h30 ce matin, les députés de la Fédération Wallonie-Bruxelles ont adopté les modifications du décret paysage. Le vote s’est déroulé sans surprise, en conformité avec celui qui avait déjà eu lieu il y a une semaine en commission. Le texte déposé par le Parti Socialiste et Ecolo a été voté avec le soutien du PTB, tandis que le MR et les Engagés ont voté contre. Ce vote aux petites heures marque la conclusion d’une longue nuit de débats qui ont ressemblé à une guerre de tranchées parlementaires. Le MR et les Engagés ont demandé la consultation du Conseil d’État. Le PS, Ecolo et le PTB ne pouvaient pas s’y opposer mais ont décidé de procéder au vote malgré tout, le règlement le permettant. Le Mouvement Réformateur a ensuite exigé une seconde lecture, elle a eu lieu en séance plénière pour éviter de devoir convoquer à nouveau une commission. S’en est suivi un débat sur le coût budgétaire de la réforme. Françoise Bertieaux, ministre de l’Enseignement supérieur, hostile à la réforme, a estimé le coût des adaptations proposées à environ 100 millions d’euros. Les Engagés ont alors demandé que les moyens correspondants soient dégagés et que leur provenance soit précisée. Des suspensions de séances, des conciliabules, des manœuvres d’obstruction d’un côté, et ce qui pourrait être considéré comme un passage en force de l’autre, ont eu lieu. À chaque obstacle dressé par les opposants au nouveau décret, le PS, Ecolo et le PTB ont répondu par un vote passant outre les objections.
Que retenir de cette nuit agitée ? Tout d’abord que les règles vont changer, ce qui est probablement le plus important pour les étudiants. Les étudiants ayant entamé leurs études avant la réforme du décret paysage en 2022, ceux en bac 1 ayant acquis au moins 45 crédits (et non plus 60) et ceux se réorientant suite à un échec bénéficient d’une année supplémentaire pour poursuivre leur parcours. Combien d’étudiants cela concerne-t-il ? Plusieurs centaines sûrement, probablement plusieurs milliers. Voire plus ? On ne le sait pas vraiment à ce stade. On peut quand même s’étonner des discours affirmant tantôt que cela ne concerne que peu d’étudiants, et puis à d’autres moments que l’impact budgétaire est colossal, 100 millions ce n’est pas rien. Certains militants de la FEF ont même affirmé que le décret paysage était avant tout un décret budgétaire, durcissant les conditions de financement et réalisant des économies sur le dos des étudiants.
Derrière ce débat politique se cachent en réalité deux visions de ce que doit être la condition étudiante, de la priorité que les étudiants doivent accorder à leurs études, de leur capacité à s’y investir alors qu’une majorité d’entre eux sont contraints de travailler en même temps pour financer leurs études, leur logement, leur nourriture, leur minerval, etc. D’un côté, il y a la vision des enseignants estimant que la priorité doit être donnée aux études, qu’il est toujours possible de rater une année mais pas d’en rater trois d’affilée, ni de reporter indéfiniment des examens d’une année à l’autre. Il fallait limiter la durée des études. Argument massif des enseignants, depuis la mise en place du nouveau décret paysage, porté par Valérie Glatigny, le taux de réussite aux examens se serait amélioré. Le risque d’être déclaré non finançable, d’être exclu des études, a incité les étudiants à étudier davantage, ce qui était bénéfique pour tous. De l’autre côté, il y a la vision de la FEF, estimant que beaucoup d’étudiants n’ont pas le choix, qu’ils doivent concilier travail et études, et que leur mettre une telle pression revient à exclure les étudiants les plus en difficulté. Cela mènerait vers un enseignement élitiste, où seuls ceux bénéficiant du soutien de leur famille pourraient réussir leurs études.
Ces deux visions, qui ont divisé la communauté universitaire, se sont retrouvées au parlement. Le MR a adopté la vision du bâton, défendue par une large majorité de professeurs, tandis que le PS, Ecolo et le PTB se sont rangés derrière la vision de la FEF, privilégiant la carotte et les sessions de rattrapage. Il convient de préciser que le nouveau décret adopté cette nuit n’est valable que pour la rentrée prochaine. Les étudiants ont donc obtenu un sursis, mais temporaire. Ce débat reviendra donc lors de la prochaine législature. On peut même annoncer d’ores et déjà qu’il fera partie des négociations dans le cadre d’un accord de gouvernement après les élections du 9 juin.
En dernier détail, le texte a été voté et devra être promulgué, avec d’éventuels arrêtés d’application. Il est à noter que la présidence et le portefeuille de l’Enseignement supérieur sont entre les mains du Mouvement Réformateur. La messe n’est peut-être pas encore dite, mais il serait sain que le feuilleton se termine. Les élections auront lieu dans 45 jours, à peu près à la même période que les examens des étudiants. Il serait bon que les deux calendriers cessent de se télescoper et que l’on laisse les étudiants se concentrer sur l’essentiel : leurs examens.